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abandonné. Il avait dû s’en faire de nouveaux dans le monde républicain : Béranger, Arago, Garnier-Pagès. Comme femmes il fréquentait George Sand, alors dans tout l’éclat de sa renommée quelque peu scandaleuse et la comtesse d’Agoult, que sa liaison notoire avec Liszt avait séparée du monde auquel elle appartenait naturellement. C’étaient là, pour un ancien prêtre, des intimités quelque peu singulières, et Lamennais en avait le sentiment. Aussi s’en expliquait-il avec Mme Cottu. Il se défendait en particulier contre les calomnies auxquelles sa relation avec George Sand avait donné naissance. Il se plaignait qu’une certaine dame affirmât avoir vu plus de soixante lettres de lui à George Sand. Or il assurait ne lui en avoir jamais écrit que quatre, deux insignifiantes et deux détaillées en réponse à des confidences très intimes qu’elle lui avait faites sur ses chagrins domestiques et sur la situation de son âme. Il se plaignait également du peu de tact et de mesure qu’elle avait montré dans ses relations avec lui. « Croiriez-vous, disait-il, qu’elle m’a menacé de venir prendre une chambre dans le village le plus voisin de la Chênaie pour être plus à portée de mes conseils et de mes instructions. Jugez le beau texte que l’exécution d’un pareil projet aurait fourni à la calomnie. Il ne m’aurait plus manqué que ce dernier coup. » Mme Cottu lui ayant demandé s’il lui trouvait quelque charme dans l’esprit et dans la conversation, il lui répondit qu’elle était « essentiellement dépourvue de toute physionomie et que son entretien était de la plus grande sécheresse. »

Il se plaignait également d’une certaine Mme de Marliani, une Espagnole chez qui il s’était mis sur un tel pied de familiarité qu’il y allait souvent dîner sans être invité. Mal lui en prit une fois, et il racontait en ces termes à Mme Cottu la fâcheuse aventure qui lui arriva certain soir :


Un jour, j’arrive à six heures, au moment du dîner et je vois Mme de Marliani un peu troublée de ma visite. Elle s’avance vers moi d’un air inquiet et me dit qu’elle attendait à dîner une certaine personne dont elle craignait que la présence ne me fût pas agréable, qu’en un mot, elle attendait Mme Dorval. Je me sentis un peu déconcerté de cette nouvelle, mais ne voulant pas faire un esclandre je pris le parti de rester. Effectivement Mme Dorval arriva presque sur mes talons avec un M. Merle, son amant, directeur de je ne sais quel théâtre. On les plaça aux deux bouts de la salle, en face l’un de l’autre, et pendant tout le dîner, voilà Mme Dorval criant continuellement à ce monsieur tout ce qu’elle entendait dire autour d’elle, et l’appelant de