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depuis tant d’années puissent jamais s’affaiblir ? Que jamais votre affection puisse cesser de m’être, au milieu des douleurs de la vie, l’une des plus douces consolations que m’ait ménagées la Providence ? Non certes, et vous le savez bien. Il y a des choses intimes sur lesquelles le cœur ne saurait se tromper. Vous me parlez des Feuillantines. Cernay est du même temps. Tout cela m’apparaît aujourd’hui comme une sorte de rêve. Les réalités du présent sont si différentes ! Dans notre triste existence, il n’y a de bon que des souvenirs sur la terre et des espérances dans le ciel.


Par momens même, bien que de plus en plus rarement, le prêtre reprend la parole, et glisse dans ses lettres des exhortations pieuses qu’inspire encore l’esprit chrétien. Au commencement de l’année 1834, Mme Cottu fut frappée par un nouveau malheur, la perte d’un petit garçon de neuf ans. Elle en conçut un profond désespoir. « Ma vie partout sera douloureuse, écrivait-elle à Benoist d’Azy, et ne vaut pas la peine d’être comptée pour quelque chose. Mon retour dans mon pays, ma réunion avec mes amis ne seront que des palliatifs à un mal incurable. » Lamennais voulut venir en aide à ce mal, et il écrivit à Mme Cottu une lettre qui rappelle encore, bien qu’avec un peu moins de profondeur et d’onction, celles qu’il lui écrivait cinq années auparavant, dans des circonstances non moins douloureuses.


Au nom de Dieu, amassez tout ce que vous avez de foi et de courage pour soutenir votre ûme si cruellement atteinte. Il n’est rien que vous ne puissiez, aidée de celui qui peut tout. Vous trouverez des forces dans votre faiblesse même si vous les y cherchez avec la confiance naïve d’un enfant qui voit en toutes choses la volonté pleine d’amour et de miséricorde du Père céleste, quoique ses voies soient cachées. Il veut que nous ayons pour lui cet abandon qui acquiesce sans réfléchir et sans interroger. Qui sommes-nous, pour lui demander compte de ses desseins, pour sonder ses voies mystérieuses ? Oui, mon Père, parce qu’il vous a plu ainsi. Voilà la parole qu’il désire entendre sortir de votre cœur et la seule aussi qui vous consolera. Il y a bien de la paix dans le sacrifice, pourvu qu’il soit pur et entier. Ç’a été sur la terre toute la joie du Dieu-homme… Représentez-vous telle qu’elle est cette vie triste et rapide, et ses événemens les plus douloureux se présenteront à vous sous un tout autre aspect. Où allons-nous ? Vers votre mère patrie. Comment plaindre ceux qui sont délivrés et des fatigues et des périls de la route ? Mais c’est nous-mêmes que nous plaignons, et Dieu permet cette plainte et il y compatit, lorsque, renfermée en de chrétiennes bornes, elle n’exclut point la résignation.


Cette lettre où Lamennais parle du Dieu-homme est du 2 mai 1834. Dans les derniers jours d’avril avaient paru les Paroles d’un Croyant. À la lecture de cet écrit célèbre dont la