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vous abandonnera pas. Mais, de grâce, cessez de l’offenser par une défiance injurieuse à son amour. Domptez cette tristesse qui vous tue, ce profond découragement voisin du désespoir, et que la religion vous ordonne de vaincre. Voilà ce que Dieu demande de vous en ce moment ; j’ignore ce qu’il demandera plus tard. En attendant, vivez de résignation et d’amour.


Mme de Lacan ne tarda pas à regretter le parti un peu excessif qu’elle avait adopté. Elle voulait reprendre son existence et ses relations d’autrefois. Elle voulait surtout conserver comme ami dans sa vie l’homme qu’elle ne pouvait prendre pour mari. Lamennais s’élève contre ce dessein avec une sévérité que Bourdaloue, auteur d’un morceau fameux sur les Amitiés prétendues innocentes, n’aurait pas désavoué. C’est ici le prêtre qui parle :


Je vais vous parler avec la franchise du meilleur ami que vous ayez ; mon attachement pour vous, mon caractère, ma conscience, me font un devoir de ne vous déguiser aucune vérité. Soyez persuadée d’abord, ou, si vous ne le pouvez pas, croyez qu’en ce moment, personne au monde n’est moins en état que vous de juger de votre position, même sous le rapport du bonheur. Vous êtes sous l’empire d’une violente passion. Vous ne voyez rien qu’a travers les nuages qu’elle accumule autour de vous.

J’ignore quels destins vous sont réservés ; mais que vous épousiez ou non M. C., ce que M. D.[1] exige de vous est également sage, et son devoir est de l’exiger. Je vous le demande, pouvez-vous sans cela répondre de vous-même, je dis de votre cœur ? Pouvez-vous espérer que son exaltation se calme, lorsque chaque jour vous verrez, vous écouterez celui qui l’excite, lorsque vous vous occuperez de lui, et qu’il vous en occupera lui-même sans cesse ? Que les obstacles à votre union subsistent, ou, chose possible, qu’il en naisse de nouveaux, vous nourririez donc volontairement en vous une passion que la religion, que l’honneur même réprouve ? Vous ne le pouvez pas, vous ne le voulez pas, mais vos sentimens vous aveuglent ; ils vous empêchent d’apercevoir combien cette faiblesse vous exposerait, combien elle serait incompatible avec tout ce que vous devez à Dieu et à vous-même…

Restez donc où vous êtes, jusqu’à ce que votre sort soit mieux éclairci. Ne sortez qu’à des jours fixes, pour aller aux Missions et chez vos parens et encore si vous êtes certaine de ne pas rencontrer chez ceux-ci l’homme que vous ne devez pas revoir, tant que votre position sera douteuse, par la volonté des autres ou par la sienne. Et moi aussi, je vous parais dur, je le sens, et cependant, jamais je ne vous donnai de plus sûre marque d’affection qu’en ce moment même. Il faut que vous vous vainquiez, il le faut absolument, Dieu le veut. Je vous le demande en son nom ; je vous en conjure à genoux. Soyez vous, c’est-à-dire résolue à tout ce qu’il y a de bon, de noble, d’honorable et de saint, quoi qu’il vous en doive coûter. Je vous

  1. Cette initiale désigne l’abbé Desjardins qui était le confesseur de Mme de Lacan.