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Il me tarde de pouvoir vous envoyer l’Essai sur l’Indifférence et vous associer à l’impression profonde dont il me pénètre. On y trouve tout : cette voix impérative qui met la foi au-dessus de la raison et hors de sa faible portée, cette logique victorieuse qui convainc l’esprit après avoir semblé le dédaigner, et cette puissance de l’âme qui touche et transporte.


Mme de Lacan ne put se soustraire longtemps à l’attirance de cette austère énergie et de cette voix impérieuse par laquelle elle, se sentait dominée de loin, ainsi qu’elle l’eût été au XVIIe siècle par celle de Bossuet, et, comme nous l’avons vu, au courant du mois d’août 1818, elle demanda et obtint d’être reçue par Lamennais.


II

Le témoignage de tous ceux qui ont été en relation personnelle avec Lamennais est unanime sur l’influence qu’il exerçait directement sur ceux qui l’écoutaient. Il ne se sentait pas orateur et il n’essaya jamais de parler en public, mais il était éloquent dans la conversation. Il le demeura toujours et quand, dans la première moitié de sa vie, à cette éloquence s’ajoutait l’onction du prêtre, il devait être irrésistible. Maurice de Guérin, Lacordaire, Montalembert, Lamartine, Victor Hugo, Sainte-Beuve lui-même ont tour à tour subi son ascendant. Une femme comme Mme de Lacan n’était parfaite pour y résister. Cette première entrevue avec Lamennais fut décisive dans sa vie. Nous n’en avons point Je récit de sa main, mais on en trouve du moins l’écho dans une lettre que Lamennais lui-même lui adressait quelques jours après et qui ouvre cette longue correspondance. Elle mérite d’être citée presque tout entière :


J’achève, madame, de relire votre lettre ; elle me touche extrêmement ; j’y vois les angoisses et les combats d’un cœur que Dieu rappelle à lui, car c’est la grâce qui agit en vous, et je m’abuserais étrangement si je croyais avoir contribué au changement survenu dans vos pensées. L’homme ne peut rien pour l’homme ; mais Dieu, qui se sert de tout pour accomplir ses desseins, et qui se plaît à employer de préférence les plus faibles instrumens, a mis dans ma bouche je ne sais moi-même quelles paroles qu’il voulait vous faire entendre, et dans votre âme des sentimens que je considère, avec une grande joie, comme les prémices de sa miséricorde à votre égard. Je désire que vous vous arrêtiez sur cette pensée ; elle doit exciter en vous une vive reconnaissance pour celui que vous avez oublié si longtemps, et qui vous prévient aujourd’hui avec une bonté si ravissante. Quand vous songerez que c’est Dieu lui-même qui sollicite votre amour, sans doute