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Année ne donnait plus signe de vie ; il abandonnait son cher Donnadieu le meilleur des amis faisait banqueroute à l’amitié !…

Julie, toujours consolatrice, prodiguait pourtant ses visites ; mais l’illusion des premiers jours d’ivresse s’était dissipée. Donnadieu se faisait à nouveau méfiant ; la bien-aimée le retrouvait ironique et brutal ; il l’accueillait avec froideur, car son pâté d’anguilles lui était devenu fastidieux. D’ailleurs, bavarde et curieuse, la dariolette l’importunait de questions, de trop fréquentes demandes concernant le complot, et cette inquisition semblait bizarre à son amant… « Eh quoi, un autre Fardel, cette petite ! Plus de baisers, ma belle ; moins d’interrogatoires !… » Les toilettes de son ingénue surprenaient aussi Gabriel. Il la trouvait bien élégante pour une simple grisette, pauvre brodeuse en chambre. Qu’était cela ? Les largesses d’un nouveau galant ? Julie s’efforçait d’expliquer la clinquetaille de ses parures, les roses moussues de ses chapeaux, les traînes de ses tuniques ; mais à d’autres, ces coquecigrues ! Son jaloux refusait de la croire : des gains de passementière ne sont pas des nivets d’agent de change !

Enfin, la lettre désirée lui fut remise.

Elle annonçait de navrantes nouvelles… Augereau se refusait à subir un ennui ; Masséna ne pensait qu’à sa goutte ; Oudinot ne voulait pas sortir de Polangis ! Et pourtant, un pressant péril menaçait Donnadieu : la transportation ! Que décider en si triste occurrence ?… Année engageait donc le camarade à se montrer plus conciliant. Un dernier protecteur lui restait, l’omnipotent Davout. Pourquoi ne pas implorer cette providence, lui adresser une confession, se proposer comme auxiliaire de sa police ? Préjugés, sottises de bourgeois, les préventions contre la police ! Tant et tant d’honnêtes gens la servaient qui s’en trouvaient bien…

Ces sages conseils se terminaient par deux superbes phrases de style élégant et classique : un professeur du Prytanée français en eût approuvé l’ingénieuse métaphore : « D’ici j’entends vos cris ; je vois vos répugnances. Mais, dans les maux qui semblent sans remèdes, un habile médecin a recours au poison… » L’habile médecin c’était le bon jeune homme ; le poison, un argent que servirait Davout : sucre et dorure pour la pilule. Du reste, Année, le vaudevilliste, raisonnait comme le didactique Esménard, un nourrisson des Muses qu’allaitait aussi la Police, On