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de telles vilenies ? Il les voulait découvrir. Suspectant déjà Oudinot, Masséna et Augereau d’avoir reçu les confidences de Donnadieu, Bonaparte les croyait complices de ces nouvelles menées.

Une occasion s’offrait d’éclaircir leur conduite. Il fallait amener Donnadieu à écrire aux trois généraux ; amis de cet officier, ils répondraient sans doute ; leurs lettres seraient ouvertes : on connaîtrait ainsi leurs secrètes pensées. Abjecte manigance ; procédés de fangeuse police ! Mais Bonaparte aima toujours mettre la main en de pareilles ordures ; il se faisait, sans répugnance, agent provocateur, et savait alors « cuisiner » à merveille. De lui-même conçut-il l’idée de la manœuvre ténébreuse ? ordonna-t-il qu’on dépêchât la délurée Julie au candide Donnadieu ? Oui, peut-être : des actes de semblable amorçage abondent dans la vie de Napoléon… Cet homme, parfois plus grand que l’homme, n’avait en son cœur rien d’humain. Corrupteur de consciences, il ne croyait qu’à la corruption ; l’amour et l’amitié n’étaient pour lui qu’une comédie ; il en jouait sans scrupule : trop souvent l’ami, l’amant, la maîtresse furent les meilleurs auxiliaires de sa police.

Davout convoqua l’intelligent Année, et ce serviable jeune homme se mit, sur-le-champ, en campagne.


Dans le château de Rueil, Masséna, bien qu’il souffrît encore de la goutte, fit un gracieux accueil à l’envoyé de Donnadieu. Le nom sonore de ce diable à quatre lui rappelait de tels souvenirs !… « Donnadieu, son compagnon de misère, durant le siège de Gênes ! Excellent officier, franc luron, brave à tous crins ! Il avait défendu l’un des forts de la place, accompli son devoir, reçu dans l’épaule un éclat d’obus, combattu néanmoins, porté sur un brancard… Quoi ! pincé dans une sotte histoire de complot, l’imbécile ? Coffré au Temple, parmi tant de nicaises ? Tant pis, mon camarade, de quoi te mêlais-tu ?… » Masséna paraissait navré. Soldat, il eût souhaité rendre service à un soldat ; mais, hélas ! il n’était plus rien, rien dans la République ! Nouveau Cincinnatus, ce Romain cultivait son champ ; comme Achille, ce vainqueur vivait retiré sous la tente !… Une tente, d’ailleurs, fort bien aménagée : meubles précieux, argenteries, tableaux, statues, « dépouilles opimes, » conquêtes de nos Scipions, libérateurs d’esclaves. Le Nizzard ajouta : « Que désire votre ami ? Mon