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Donnadieu. Il venait prendre son prisonnier, pour le conduire à la salle des interrogatoires.

Préambule obligé de toute instruction judiciaire, ces très courts interrogatoires avaient lieu quelquefois au ministère de la Police, le plus souvent dans les maisons d’arrêt. Le magistrat instructeur questionnait sommairement le prévenu, et d’après ses réponses rendait définitif le dépôt provisoire, ou refusait de le ratifier. Excellente en soi-même, une telle formalité aurait dû être une garantie contre la détention arbitraire ; mais procédure trop souvent illusoire, elle était plutôt faite pour transformer en mesures légales les soupçonneuses fantaisies de Fouché ou de Desmarest.

L’homme à petit manteau noir devant qui Donnadieu allait comparaître, le « magistrat de sûreté » Fardel, était à Paris un assez gros personnage. Substitut du citoyen Gérard, commissaire du Gouvernement près le tribunal criminel, il avait « en partage la première division de justice » comprenant la section des Tuileries. Toute espèce d’attentats perpétrés contre le Premier Consul, — projets meurtriers, conspirations, discours séditieux, paroles simplement malsonnantes, — étaient dévolus à son instruction. Il avait fort à travailler, car officielles ou officieuses, les polices de Bonaparte, lui taillaient de fatigantes besognes. Heureux d’exercer un pareil sacerdoce, le substitut Fardel ne se ménageait guère. On le voyait en perpétuelle agitation, brûlant le pavé de Paris dans son cabriolet, allant du Temple à Pélagie, et de Pélagie à la Force, habitant beaucoup plus les prisons et leurs greffes que son appartement de la rue Saint-Honoré. Garçon d’esprit, d’ailleurs, il savait les rubriques de la Loi, les ressources de son métier, les procédés de l’avancement. Au Palais, toutefois, les citoyens « jurisconsultes, » avocats ou avoués, tenaient en suspicion cet ambitieux de grand labeur. Ils le disaient rusé, retors, coutumier de petites perfidies, trop beau faiseur de zèle, plus dévot à Fouché qu’à Thémis, à Bonaparte qu’à Fouché même. Propos du reste sans conséquence. Allez donc croire un avocat lorsqu’il parle d’un président, d’un juge, ou d’un procureur ! Ces messieurs à rabat n’ont jamais la faconde élogieuse, et rarement Brid’oison peut trouver grâce devant L’Intimé… Au surplus, Fardel était magistrat bien noté, et pour lui c’était l’essentiel.

Nippé de l’habit noir à la française, du jabot, de la cravate