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par son candidat ; il allait devenir la fable de l’Allemagne et de l’Europe, son édifice de ruse croulait sur sa tête. Qu’un Allemand apprenne à nos historiens l’étendue de cet effondrement : « Cette renonciation, dit Lenz, était la paix. Son voyage était devenu inutile, inutile le soulèvement de la nation, qu’il avait provoqué de toutes ses forces, inutile sa tentative ourdie avec une ruse savante pour préparer une contre-mine aux efforts français. S’il pouvait encore maintenir sa position pour la forme, la partie était perdue. Au lieu de surprendre la France comme il l’avait espéré, il voyait, à partir de là, sa route barrée par elle. Le moment de reculer était arrivé ; pour la première fois de sa vie, le grand homme d’Etat avait subi une défaite[1]. »

Ce résultat écrasant était dû en grande partie à notre déclaration du 6 juillet. Olozaga et Strat n’auraient pas réussi dans leur tentative, et n’en eussent même pas conçu l’idée sans les facilités que leur donna notre ultimatum courageux. Nigra l’a reconnu : « La renonciation du prince doit être attribuée principalement à son désir d’épargner une conflagration à l’Europe ainsi qu’à l’attitude décidée du gouvernement français[2]. » La déclaration avait secoué l’apathie des Cabinets en leur montrant le péril, réveillé les scrupules de conscience engourdis du Roi, inspiré au prince Antoine une crainte salutaire ; elle n’avait pas fermé la porte à la négociation, elle l’avait ouverte à deux battans. Grâce à la souplesse avec laquelle nous l’avions utilisée elle nous avait obtenu ce que la mollesse du langage ou le traînant des pourparlers craintifs ne nous eût pas donné. Nous avions dit le 6 : Nous ne tolérerons pas une candidature Hohenzollern, et le 12 la candidature Hohenzollern avait disparu. Nous n’étions pas tombés dans le précipice que Bismarck avait creusé sous nos pas, nous l’y avions jeté lui-même. En l’apprenant, Guizot s’écria : « Ces gens-là ont un bonheur insolent : c’est la plus belle victoire diplomatique que j’aie vue de ma vie. » Et Thiers : « Avoir forcé la Prusse à reculer dans une entreprise que le monde croyait très intentionnelle de sa part, cet avantage restait immense… Nous sortions d’embarras par un triomphe ! Sadowa était presque réparé[3]. »

Quoique Bismarck fût un de ces vaillans qu’un incident

  1. Lenz, Geschichte, Bismarck, p. 349-350.
  2. Mars 1895.
  3. Déposition devant la Commission d’enquête sur le 4 septembre.