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Palmerston avait certaines excuses à invoquer pour justifier son acte, notamment qu’il avait été précédé par une année de négociations infructueuses et que, si la signature avait été clandestine, sa préparation, sa possibilité, son imminence n’avaient pas été ignorées du gouvernement français. A l’acte de Bismarck aucune excuse. Palmerston ne cessait de se défendre d’avoir voulu outrager la France ou son gouvernement ; Bismarck avait dit tout net à Loftus que « c’était ce qu’il se proposait. » Si un Napoléon, en présence d’un affront aussi grossier, avait montré une résignation qu’on n’avait pas pardonnée à Louis-Philippe devant une offense discutable, la nation l’aurait fait sauter en l’air. L’Empire était au bout du crédit de pusillanimité que notre pacificomanie lui avait ouvert. Il avait subi déjà deux humiliations amères : au Mexique, il avait reculé devant les sommations américaines ; au Luxembourg, devant celles des vainqueurs de Sadowa. Les sommations du gouvernement de Washington s’étaient perdues dans le bruit des objurgations de l’opposition française ; la reculade du Luxembourg, quoique couverte par l’ombre d’une négociation secrète, avait été beaucoup plus sensible à la fierté nationale. Elle avait créé cette irritation sourde que nous avions tant de peine à contenir lors de l’incident du Saint-Gothard, et qui venait d’éclater d’une manière si impérieuse à l’annonce de la candidature Hohenzollern. Une nouvelle répétition générale plus avilie, parce que cette fois tout s’était passé en public, d’une défaite pareille eût fait tomber l’Empire plus bas dans l’impossibilité de vivre que le gouvernement de Juillet après 1840.

Si l’Empereur avait dévoré l’affront, l’opposition aurait repris l’apostrophe de Berryer qui souleva l’Assemblée tout entière : « Eh quoi ! messieurs, il y a un pays au monde où les ambassadeurs entendent de telles paroles et où ils les écrivent… Non, ce n’est pas de la France qu’on a dit cela. Non, quoi que vous ayez fait, on n’a pas dit cela de la France, et ceux qui, aux jours de nos plus grands désastres, ceux qui à Waterloo même ont vu comment tombaient nos guerriers, n’ont pas dit cela de la France… Ce n’est pas d’elle qu’on a parlé. » Thiers lui-même, qui n’avait pas laissé passer une session sans évoquer contre l’Empire le souvenir de Sadowa, eût repris ses propres discours contre un désastre d’honneur auprès duquel 1840 eût paru un triomphe ; Gambetta eût fulminé des harangues autrement