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supposition, et ce qui le prouve, c’est l’adhésion empressée que le principal d’entre eux, Rouher, donna à nos décisions. Et en effet, les différences entre les deux momens étaient telles que, l’eussent-ils voulu, ils n’auraient pu, en 1870, suivre la même marche qu’en 1867. Ils avaient soulevé eux-mêmes l’affaire du Luxembourg et cette acquisition présentait un mince intérêt : ce n’était qu’un trompe-l’œil, qui devait aider le ministre d’État à répondre aux députés de l’opposition. Il leur devenait par conséquent loisible d’avoir des condescendances auxquelles nous ne pouvions songer, nous qui n’avions pas suscité la difficulté Hohenzollern et qui défendions en Espagne un intérêt de sécurité et d’honneur de premier ordre. Le refus du Luxembourg constituait la première bravade patente de la Prusse ; on avait eu, pour se retourner et pour la supporter, des facilités qui nous étaient interdites devant un affront plus retentissant et qu’eût suffi à rendre plus cruel le seul fait qu’il était le second. Enfin, en 1867, Bismarck craignait la guerre et ne la voulait pas, tandis qu’en 1870, il ne la craignait pas et la voulait. Si ses dispositions eussent été en 1867 ce qu’elles furent en 1870, tous les aplatissemens de Rouher et de du Moustier n’eussent pas sauvé la paix, et il eût fallu dégainer.


XIV

La critique des entreprises suivies d’insuccès serait beaucoup moins écoutée s’il était possible de déterminer ce qu’aurait produit la conduite contraire. On a vu les effets de la défaite : a-t-on réfléchi à ceux qu’aurait entraînés l’humiliation !

Pouvions-nous oublier l’enseignement de 1840 ? Au milieu des négociations poursuivies à Londres entre les cinq grandes puissances, le ministre anglais, Palmerston, annonce tout à coup à notre ambassadeur, Guizot, qu’un traité de coopération contre Mehemet-Ali, notre protégé, a été signé à notre insu, entre les quatre autres puissances et s’exécute avec autant de hâte qu’il a été conclu. La France se sent outragée. Rémusat écrit à Guizot : « Tel qu’il est, même réduit à une résolution précipitée, le procédé est intolérable, et le seul moyen de n’en être pas humilié, est de s’en montrer offensé. » Le ministère présidé par Thiers arme, et convoque les Chambres ; il propose au Roi une déclaration fière dans le discours du trône. Le Roi ne l’accepte point, parce qu’il était conçu dans la perspective de la guerre. — « Sans