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télégramme d’Ems qui, comme il le dit avec raison, est resté à la fin, pour le ministère français, l’unique motif de guerre. Ce n’était, à l’entendre, qu’un télégramme de journal adressé aux représentans de la Prusse et aux autres gouvernemens considérés comme amis pour les orienter sur le développement que l’affaire avait pris ; ce n’était pas une pièce officielle. « Comme causes déterminantes de ce regrettable phénomène de la guerre, nous ne pourrons, disait-il, découvrir malheureusement que les instincts les plus mauvais de la haine et de la jalousie au sujet de l’autonomie et du bien-être de l’Allemagne, joints au désir de tenir terrassée la liberté à l’intérieur en précipitant le pays dans des guerres avec l’étranger. »

Les pauvretés si artificieusement cousues de Bismarck firent alors grand effet sur un peuple fanatisé et sur une opinion internationale toujours en défiance de Napoléon III. Sybel leur donna l’autorité de son talent. Il n’y eut pas un Allemand qui ne les admît et ne les répétât. Le renom de l’Allemagne ne gagna pas à ce système d’imposture, et les juges impartiaux répétèrent le mot de Velleius Paterculus sur les Germains : natum ad mendacium genus. Bismarck lui-même était amoindri par ce maquignonnage grossier. Un de ses panégyristes, Johannes Scherr, a très bien défini le caractère qu’il faut donner au créateur de l’unité allemande. « Après avoir produit tant de géans de la pensée, l’Allemagne devait, enfin, produire un héros du fait. Nous avions eu, à l’époque de la Réforme et depuis lors, assez d’idéalistes, mais pas un homme politique. Il nous manquait le génie pratique, le génie sans scrupule. Oui, véritablement, celui-là ! Car les hommes réfléchis et expérimentés doivent laisser là où il mérite d’être, c’est-à-dire dans l’abécédaire des enfans, le lieu commun usé qui dit que « la politique la plus honnête est la meilleure. » Il n’y a jamais eu de « politique honnête » dans le sens usité du mot, et il ne saurait y en avoir. L’homme d’État créateur doit accomplir son œuvre, sans s’inquiéter de savoir si ses adversaires la trouvent « malhonnête, » si elle est désagréable ou nuisible pour eux. Ce ne sont pas les considérations éthérées d’une idéalité subjective, mais bien de dures réalités, des intérêts archi-prosaïques, ainsi que des passions communes et élevées qui déterminent de concert la science d’Etat. » C’est ainsi qu’il eût aimé être loué ; c’est ainsi qu’il faut parler de cet homme extraordinaire, le plus rusé des renards, le plus