Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/485

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souhaitons qu’il prenne plus de consistance, et nous avions déjà émis ce vœu avant le 13 avril, en parlant du ministère qui existait à cette époque ; mais ce qui s’est passé depuis ne semble pas devoir en faciliter, ni en hâter la réalisation. Le Comité jeune-turc a paru lui-même attacher si peu d’importance au gouvernement, qu’il n’a pas changé tout de suite celui qu’Abdul-Hamid avait institué au moment où il a fait son coup d’État : il a paru croire que celui-là en valait un autre. C’était vrai, peut-être, et tout le monde convient que Tewfik pacha, qui le présidait, est un homme très estimable : il n’en est pas moins vrai que le monde a été surpris lorsqu’il a vu le dernier ministère d’Abdul-Hamid survivre tranquillement à la chute du Sultan. Cette situation paradoxale ne pouvait pourtant pas durer. Il était tout simple et, en quelque sorte, indiqué de revenir au ministère qu’Abdul-Hamid avait renversé : c’est ce qu’on a fait en nommant de nouveau Hussein-Hilmi pacha grand vizir. La Chambre avait d’ailleurs fait sentir qu’elle ne tolérerait, pas le ministère Tewfik. Le ministère nouveau est bien composé dans ses principaux élémens. Un rend justice à Hilmi, et aussi à Kérid pacha, ministre de l’Intérieur, qui était grand vizir au moment où a éclaté, en juillet dernier, l’insurrection de Salonique, et qui a été disgracié par son maître parce qu’il lui a conseillé de donner une constitution à la Turquie, Férid est un homme éclairé, distingué, libéral : sa seule faiblesse est d’avoir été un peu trop exclusivement le représentant des intérêts d’une puissance étrangère. Ou l’a vu néanmoins revenir au pouvoir avec satisfaction et confiance ; mais qu’est-ce que le pouvoir aujourd’hui, et n’y a-t-il pas quelque ironie dans l’emploi de ce mot qui vient machinalement sous la plume ?

Jamais pourtant la Turquie n’a eu un plus grand besoin d’un gouvernement. Abdul-Hamid en était un à lui tout seul, détestable à beaucoup d’égards, non pas absolument à tous. Il savait ce qu’il voulait, et il avait les moyens de faire exécuter ses ordres, bons ou mauvais. Il était une force avec laquelle il fallait compter, mais sur laquelle aussi on pouvait compter. C’est là ce qu’il s’agit de remplacer et assurément la tâche est réalisable ; nous espérons bien qu’elle sera réalisée, et qu’elle le sera dans des conditions très supérieures à celles du passé ; mais c’est à cela qu’on doit s’appliquer avant tout. Pour y réussir, un comité et une armée ne suffisent pas. Ils suffisent à faire une révolution, mais faire une révolution est une œuvre qui exige une bien moindre portée d’esprit que de faire un gouvernement, et c’est aujourd’hui un gouvernement qu’il faut faire.