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tant dès aujourd’hui si, dans la session qui s’ouvre elle apportera un coefficient d’augmentation à la force ou d’aggravation à la faiblesse du gouvernement ?


Nous nous demandions, il y a quinze jours, ce que le parti vainqueur à Constantinople ferait du Sultan vaincu. Le conserverait-il nominalement à la tête de l’Empire pour gouverner sous son nom ? Le renverserait-il en lui enlevant la liberté et peut-être la vie ? La question est aujourd’hui résolue. Abdul-Hamid a été renversé et remplacé par son frère Rechad pacha, qui régnera sous le nom retentissant de Mahomet V. C’est un nom que peu de ses prédécesseurs ont porté depuis que Mahomet II est entré à Constantinople en 1453 : puisse le nouveau Sultan s’en montrer digne. Il aura pour cela beaucoup à faire. Nous nous garderons, au début d’un règne qui commence dans des conditions si extraordinaires, d’essayer de dire ce qu’il sera. L’Empire ottoman nous donne aujourd’hui un des plus étonnans spectacles qui se soient produits dans l’histoire universelle : trop d’élémens nous en sont encore inconnus, ou du moins peuvent se développer et évoluer dans des sens trop divers pour que nous ne restions pas, pendant quelque temps encore, à l’état de simples spectateurs. Il convient de réserver et d’ajourner son jugement.

Abdul-Hamid a conservé la vie, mais il a perdu la-liberté, et tout porte à croire qu’il ne la recouvrera jamais. Enlevé nuitamment de son palais d’Yldiz-Kiosk, il a été transporté à Salonique, c’est-à-dire au siège principal de l’effervescence révolutionnaire dont il a été victime. C’est de Salonique qu’est parti le mouvement qui l’a renversé moralement au mois de juillet dernier, et c’est aussi de Salonique qu’est parti le nouveau mouvement qui l’a renversé matériellement ces jours derniers. Il est là en pays ennemi, moins bien gardé peut-être par les murailles qui l’enveloppent que par les défiances, les colères, les hostilités qui l’entourent. Au moment de quitter Yldiz, il a cru encore qu’il pourrait habiter un palais situé tout près de là sur le Bosphore, et il a demandé qu’on le lui permît. Sa dernière illusion a été bientôt dissipée. Il n’a pas tardé à reconnaître qu’il n’avait rien à espérer des mains redoutables dans lesquelles il était tombé ; mais qu’aurait-il fait lui-même des Jeunes-Turcs, s’ils étaient tombés dans les siennes ? Les Jeunes-Turcs jouaient leurs têtes : s’ils n’ont pas fait tomber celle du Sultan, ils s’en sont sans doute abstenus par politique plus que par générosité, car la mort violente d’Abdul-Hamid aurait produit dans certaines parties de l’Empire, soit en Europe, soit surtout en Asie, une