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ou qu’ils ont, s’ils sont facteurs, déposé leur boite à lettres, de tenir tels discours qui leur conviennent et là où il leur convient de le faire ? Étrange prétention ! Nous doutons qu’elle soit jamais admise par un gouvernement régulier quelconque, car si un gouvernement l’admettait, il ne tarderait pas à se dissoudre honteusement dans l’anarchie. Les postiers ne parlent que de leur liberté, de leur indépendance, de leur dignité ; on croirait vraiment, à les entendre, que tout cela n’existe que pour eux et que, en fait de dignité par exemple, la leur est la seule qui mérite le respect ; celle de l’État est négligeable et méprisable, comme l’est à leurs yeux l’État lui-même ; l’État est le patron, donc l’ennemi. Le conseil de discipline a heureusement une conception différente des devoirs réciproques de l’État et de ses fonctionnaires ou employés. Il a considéré comme une inconvenance, ajoutée à tant d’autres, le refus des agens incriminés de comparaître devant lui, et a émis un avis dans le sens de leur révocation. Le jour même, les sept agens ont été effectivement révoqués et remplacés. Cela veut dire, espérons-le, que la porte de l’administration leur est fermée d’une manière définitive, et qu’on ne renouvellera pas avec eux la misérable comédie qui a consisté si souvent à mettre un agent à la porte un jour pour la lui rouvrir le lendemain. Les postiers ont largement épanché leur colère dans un nouveau meeting ; mais il y a lieu de remarquer que seuls des agens révoqués y ont pris la parole ; ils n’avaient plus rien à perdre. Les autres se sont contentés d’applaudir et, finalement, de voter un ordre du jour favorable à la grève, tout en laissant à l’Association générale le soin de fixer le moment où elle devrait éclater. Cet ajournement permettrait de croire que les postiers voulaient se donner le temps de la réflexion. Ils n’en ont pas profité, ou du moins leur réflexion a été très courte : quelques jours plus tard, la grève était proclamée.

Il est pourtant difficile que les postiers ne se rendent pas compte que l’opinion, qui leur avait été d’abord indulgente, est toute prête aujourd’hui à se tourner contre eux. Si leurs revendications, au moment de la dernière grève, avaient paru plus ou moins fondées, leurs souffrances avaient été jugées réelles. Elles venaient du favoritisme éhonté qui règne dans toutes les administrations et les soumet au régime du passe-droit : on avait le sentiment qu’il y avait là un mal profond, difficile à guérir, qu’il fallait au moins dénoncer et contre lequel c’était un devoir de se montrer sévère. L’opinion, chez nous, aime, comme on disait jadis, à donner une leçon au pouvoir. Il est même arrivé plus d’une fois, dans notre histoire, que cette leçon, après avoir