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comte Tolstoï. Sous prétexte de « chercher Dieu, » un jeune paysan visite tour à tour une demi-douzaine de couvens et de lieux de pèlerinage, n’apercevant partout qu’une pourriture morale si grossière et si uniforme que le cœur se soulève de dégoût à en subir la description, invariablement répétée dans les mêmes termes de chapitre en chapitre : jusqu’au jour où ce « chercheur de Dieu » finit par rencontrer la vérité suprême, incarnée dans la personne d’un instituteur primaire qui lui apprend que l’unique Dieu est le peuple russe ! Tout cela sans ombre de plan, ni d’observation et de vie, sans rien d’autre, poumons intéresser, que l’image de ce maître d’école socialiste et libre penseur, s’épanouissant, comme une fleur de niaiserie, au-dessus d’un marécage de boue anticléricale.

Mais c’est trop longtemps parler d’un mort, et qui, probablement, n’aurait pas eu besoin de la venue de M. Andréief pour déchoir de l’incroyable situation littéraire où l’avaient promu ses compatriotes, reconnaissans des belles espérances de génie qu’ils avaient cru deviner en lui. Toujours est-il qu’à son règne a succédé celui de son jeune rival, avec les mêmes caractères de domination sans partage[1]. Les triomphes qu’avait autrefois connus M. Gorky, au théâtre comme dans le roman, c’est à M. Andréief qu’ils sont allés ; et la différence même des deux tempéramens n’a fait que rendre plus facile la substitution, en satisfaisant, chez le public russe, ce « goût passionné de nouveauté » que Joseph de Maistre, jadis, nous représentait déjà comme « le trait le plus saillant » de son caractère.


Je dois ajouter que la différence, d’ailleurs, était toute en faveur de M. Andréief. Celui-là n’apportait peut-être pas aux lettres russes une originalité naturelle aussi accentuée qu’avait paru l’être, d’abord, celle de M. Gorky ; mais, à défaut de véritable génie, il n’y avait pas un seul des élémens du « talent » créateur qui ne se manifestât pleinement dès ses premières œuvres, depuis la souplesse et la pénétration de l’intelligence jusqu’à une maîtrise admirable des secrets pittoresques et musicaux du style. On sentait que le jeune conteur, à l’opposé de son

  1. Il convient d’ajouter que la Russie ne possédait, à ce moment, aucun autre romancier qui pût sérieusement disputer cette domination à M. Andréief. Le plus remarquable, après lui, des jeunes écrivains russes, M. Dimitri Merejkowsky, avait déjà trop clairement laissé voir, dès lors, que la subtile intelligence du logicien étouffait, en lui, toute faculté de création vivante ; et c’est ce qu’ont mieux prouvé encore, depuis, ; son roman sur le Tsarévitch Alexis et son drame sur Paul Ier, œuvres remplies d’idées originales, sous le louable appareil de leur érudition, mais attestant une impuissance singulière à évoquer une scène ou un personnage que nous donnât la moindre impression de réalité.