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Dans un avant-propos de quelques lignes que j’avais mis en tête de la première traduction française de contes et nouvelles de M. Léonide Andréief[1], en 1903, j’écrivais : « Dès maintenant, le jeune auteur de ces récits est devenu populaire, en Russie, presque à l’égal de ses illustres aînés ; et peu s’en faut que sa réputation n’ait déjà dépassé celle même de son confrère Gorky, dont l’incontestable génie naturel n’a point tardé à s’user, faute d’être soutenu par ces qualités d’expérience et de conscience professionnelles sans lesquelles il n’y a point d’écrivain ni d’œuvre qui puisse durer. » Je me rappelle que cette constatation m’a valu, en son temps, toute sorte de reproches scandalisés de la part des admirateurs français de M. Gorky : et, cependant, je m’étais borné à signaler un fait qui, dès lors, apparaissait assez clairement. Depuis le jour où il s’était révélé à ses compatriotes, le talent de M. Andréief avait rejeté dans l’ombre celui de M. Gorky. Mais encore ne pouvais-je pas prévoir avec quelle précipitation la gloire de ce dernier allait s’écrouler, ni à quels sommets allait atteindre, tout de suite, celle de son heureux rival et successeur.

Il y a même, tout compte fait, quelque chose de touchant dans l’aventure singulière de ce qu’on pourrait appeler « la faillite de M. Gorky. » Avoir, pendant trois ou quatre ans, rempli de son renom la Russie tout entière ; avoir été porté en triomphe par des foules enthousiastes, où de graves professeurs mêlaient leurs vivats à ceux des étudians et des collégiens ; avoir obtenu, du vieux comte Tolstoï, l’honneur d’être solennellement proclamé son égal : et puis, du jour au lendemain, se trouver réduit à publier, dans des langues étrangères, des œuvres dont les Russes ne veulent plus entendre parler ! Mais, aussi bien, on doit reconnaître que l’attitude de M. Gorky, en présence de cette catastrophe, n’a guère été pour lui regagner les sympathies qu’un brusque revers de la chance lui avait fait perdre. Au lieu de répondre à la mauvaise fortune en essayant de découvrir et de combler les lacunes de son art, l’ancien peintre de la vie des vagabonds russes s’est lancé dans une production de plus en plus hâtive et désordonnée, où l’on chercherait vainement jusqu’à ces qualités de couleur pittoresque et de flamme poétique qui, jadis, lui avaient tenu heu de toutes les autres vertus d’un écrivain de race.

Il faut lire, par exemple, son dernier roman, Une confession, — dont on vient de nous donner une excellente traduction française[2], — pour apprécier la chute lamentable de cet ex-émule en célébrité du

  1. L’Épouvante, par M. Andréief, 1 vol. Librairie Perrin, 1903.
  2. Une Confession, trad. par S. Persky, un vol. Librairie Juven, 1909.