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A quoi bon s’ingénier à ces explications compliquées et relevées, et ne serait-il pas plus simple d’accepter ici le témoignage de Flaubert sur lui-même ? Dès 1838, il écrivait : « Je dissèque sans cesse, cela m’amuse, et quand enfin j’ai découvert la corruption dans quelque chose qu’on croit pur, la gangrène aux beaux endroits, je lève la tête et je ris. » Et plus tard : « Le grotesque triste a pour moi un charme inouï : il correspond aux besoins intimes de ma nature bouffonnement amère. » « L’ignoble me plaît : c’est le sublime d’en bas. Quand il est vrai, il est aussi rare à trouver que celui d’en haut[1]. » Et naguère, dans son mystère de Smarh, il avait introduit le Dieu du grotesque, Yuk, comme un bon interprète pour expliquer le monde. « Je suis le vrai, disait Yuk, je suis l’éternel, je suis le bouffon, le grotesque, le laid, te dis-je. Je suis ce qui est, ce qui a été, ce qui sera. » Ce goût pour le grotesque et cette obsession de la laideur, voilà encore un trait de romantisme. Rappelez-vous la préface de Cromwell ! Il y a, dans Par les champs et par les grèves, un portrait de l’homme de la poste, malingre et malpropre, qui pourrait être copié de Callot, et un dîner de table d’hôte à Saint-Pol qui pourrait être transcrit de Balzac. Mais l’un et l’autre morceau figurerait assez bien dans Madame Bovary.

Ajoutez que le style a déjà toute sa perfection. M. Descharmes en fait justement la remarque. Il est d’avis que Par les champs et par les grèves et Novembre ne le cèdent en rien pour le nombre et l’harmonie des périodes, la justesse des images, la richesse des comparaisons aux plus belles pages des romans de Flaubert. Il y aurait pu joindre les Mémoires d’un fou. Mais c’est le style d’un poète qui écrirait en prose. Un procédé s’y fait remarquer, qu’on signalerait déjà maintes fois dans les écrits précédens de Flaubert et auquel il est resté fidèle dans toute son œuvre : la comparaison, — celle du concret avec l’abstrait ou l’inverse. On lisait déjà dans les Mémoires d’un fou : « Comment rendre par la parole cette harmonie qui s’élève dans le cœur du poète, et les pensées de géant qui font ployer les phrases, comme une main forte et gonflée fait crever le gant qui la couvre. » Dans Par les champs, l’insistance du procédé confine à la monotonie : « Les fossés dont la pente s’adoucit par la terre qui s’émiette des bords et par les pierres qui tombent des créneaux ont une courbe large et profonde, comme la haine et comme l’orgueil… » « C’était un air lent, tranquille et monotone qui se répétait toujours, ni plus haut, ni plus bas, et qui se prolongeait en mourant, avec des ondulations traînantes. Cela s’en allait, doux et triste

  1. Correspondance, sept. 1846.