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lettres familières, — si familières ! — et qu’il reprendra en cent façons au cours de toute son œuvre. A défaut de Cardenio et de la reine de France du XVe siècle, on a retrouvé une Mort du duc d’Enghien qui date de 1835. Ce récit en dix pages est le plus ancien écrit de Flaubert. Puis voici Deux mains sur une couronne ou Pendant le XVe siècle, épisode du règne de Charles VI. Il est permis de ne voir dans ces compositions d’histoire qu’un prolongement des exercices scolaires du collégien. Mais la note est plus originale dans Un parfum à sentir ou les Baladins, conte philosophique, moral ou immoral ad libitum. Le jeune auteur dépeint la misère de la vie des saltimbanques, déplore la cruauté de la société, prend parti pour les parias. La Peste à Florence et Bibliomanie, sujets lugubres et terribles, attestent l’influence d’Hoffmann. Le genre fantastique et macabre se continue par Rage et impuissance qui met en scène un homme enterré vivant, La dernière heure qui est celle d’un jeune homme à l’instant de se tuer, le Rêve d’enfer, la Danse des morts. Voilà, au témoignage de M. E. W. Fischer, le Flaubert des débuts. « Ce sont la mort, le suicide, la fin de la vie sous des circonstances affreuses et ridiculement grotesques, la détresse, la haine, les crimes, la folie, qu’il traite de préférence. C’est presque toujours un avortement de l’individu, jamais un essor, quelque chose qui monte, qui s’épanouit, qui jouit. Et le fond lugubre de ces sujets est encore renforcé par la mise en scène. Le récit se passe souvent pendant la nuit. Des cimetières, de vieilles halles, des endroits sombres sont le milieu favori. Des lumières solitaires tremblent à travers les fenêtres, des chiens hurlent à côté des maisons désertes, le vent siffle dans les feuilles, et le regard reste suspendu à l’horizon lointain au-delà des mers. Rarement le soleil se montre, et, s’il apparaît, ce ne sont que de pâles rayons qui se projettent sur des paysages d’hiver. La lune, au contraire, occupe une place importante ; elle jette sa lumière lugubre et verdâtre sur de vieux murs, des squelettes, des crânes et des linceuls. » Au surplus, ces sujets et cette mise en scène nous sont bien connus : ils ont leur date et leur certificat d’origine. Ce n’est pas l’essence du romantisme, mais c’en est le décor, ce qui devait d’abord séduire l’imagination d’un jeune homme.

L’essence du romantisme est probablement l’exaltation et l’étalage du Moi. On a pu dire que la littérature romantique se définit par la littérature personnelle. Depuis Rousseau, l’écrivain tire de lui-même la matière de son œuvre, et fait confession au public du plus intime de ses pensées et de ses émotions. Or à la série des romans d’analyse, tels que Werther, René, Obermann, il faut, pour être complet, ajouter les