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résister à la passion… Je crois qu’il n’y a pas de femme un peu raisonnable qui ne résiste aisément aux impressions de l’amour tant qu’elle l’envisagera comme une impression criminelle et qui a souvent de terribles suites ; mais, dans ces sortes d’ouvrages où l’on n’en prend que les idées qui nous plaisent ( ? ), où l’on va même jusqu’à faire passer cette folie pour une vertu et pour une marque de grandeur d’âme… »

Je ne vois rien de tel, même entre les lignes, dans tout le roman de Mme de La Fayette.

Valincour fait consciencieusement tout son métier de critique : il « généralise ; » il a tout un excursus sur le roman historique. Il y a, nous explique-t-il, deux sortes de fictions : celles où tout est inventé et où l’auteur n’a d’autre obligation que de ne point choquer la vraisemblance ; celles qui sont « mêlées de vérité » et où l’auteur « prend un sujet tiré de l’histoire pour l’embellir. » Telles sont les tragédies, tels les romans comme Cyrus, Cléopâtre, Clélie. Dans ces sortes d’histoires, « l’auteur peut ajouter ou diminuer ; mais ce ne doit être que dans les circonstances, » les faits principaux doivent être scrupuleusement respectés. Les changer, comme disait Castelvetro, autant vaudrait inventer des fleuves, des montagnes et des mers. Que faire donc précisément ? « Je voudrais prendre pour le temps de mon ouvrage un siècle fameux par de grands événemens et célèbre par les personnes illustres qui y auraient vécu. Je choisirais ceux de ces grands événemens qui auraient le plus éclaté et dont les historiens ne nous auraient pas laissé le détail des circonstances. Je tâcherais d’en inventer par rapport à mon sujet et je voudrais si bien surprendre mon lecteur qu’il lui semblât que je n’aurais écrit que ce que les historiens auraient oublié d’écrire ou ce qu’ils auraient laissé pour ne pas entrer dans un trop grand détail. Enfin je voudrais que mes fictions eussent un rapport si juste et si nécessaire aux événemens véritables de l’histoire et que les événemens parussent dépendre si naturellement de mes fictions que mon livre ne parût être autre chose que l’histoire secrète de ce siècle-là. » — Il est amusant de voir un homme du monde du XVIIe siècle définir avec tant de justesse et de bonheur d’expression l’art de Walter Scott et aussi celui de Dumas père.

Les remarques de Valincour sur le style et la langue de la Princesse de Clèves sont du plus haut intérêt pour l’histoire de la langue et tout simplement pour l’art de parler en français.