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souffre ; — il le trouve très dur pour une femme » qui lui montre tant d’amitié et de confiance ». D’ailleurs, il sait très bien relever les mois profonds, les mots tragiques, et si justes, dont le discours de M. de Clèves est tout plein : Pourquoi ne vous est-il pas comme un autre ? Pourquoi faut-il que vous craigniez sa vue ? Pourquoi lui laissez-vous voir que vous la craignez ? Pourquoi lui faites-vous connaître que vous vous servez du pouvoir que sa passion vous donne sur lui ? Oseriez-vous refuser de le voir, si vous ne saviez bien qu’il distingue vos rigueurs de l’incivilité ? Mais pourquoi faut-il que vous ayez des rigueurs pour lui ? D’une personne comme vous, Madame, tout est faveurs, hors l’indifférence. »

Valincour admire tous ces traits avec une grande chaleur : « En vérité, il faut avouer que cela est beau et bien du caractère d’un honnête homme qui est jaloux et qui a sujet de l’être. « D’une personne comme vous tout est faveur hors l’indifférence » est une des plus jolies choses qui aient jamais été dites. » — Cependant Valincour ne laisse pas de trouver que M. de Clèves « parle trop longuement d’une même chose » et aussi qu’il lui arrive de parler un peu en homme de théâtre : « Je ne me trouve plus digne de vous ; vous ne me paraissez plus digne de moi, » dit M. de Clèves ; « un homme véritablement touché ne parle pas de cette manière, » dit Valincour. — Si bien, ce me semble, quand il réfléchit en même temps qu’il est touché ; or, il y a des gens qui ont cette faculté et en tout cas tout le XVIIe siècle n’a présenté au théâtre et dans le roman, marque qu’il croyait à leur existence, que des hommes et des femmes qui étaient tels.

Sur cette tout d’abord fameuse et ensuite immortelle scène de l’aveu, l’opinion de M. de Valincour paraît bien être celle de toute la société du temps, sauf rare exception, sauf peut-être le seul Segrais. Bussy écrivait à Mme de Sévigné au 29 juin 1678 : «… J’oubliais de vous dire que j’ai enfin lu la Princesse de Clèves avec un esprit d’équité et point du tout prévenu du bien et du mal qu’on en a écrit. J’ai trouvé la première partie admirable ; la seconde ne m’a pas paru de même. Dans le premier volume, sauf quelques mots trop souvent répétés, qui sont pourtant en petit nombre, tout est agréable, tout est naturel. Dans le second, l’aveu de Mme de Clèves à son mari est extravagant et ne se peut dire que dans une histoire véritable ; mais quand on