Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déclaration fut jugée nécessaire, mais la rédaction en avait été renvoyée au lendemain.

A la fin de cette journée commencée avec une si douce espérance et terminée dans une aussi tragique perspective, je trouvai Mitchell chez moi. Je lui annonçai la résolution que nous avions prise et la douleur profonde que je ressentais d’être contraint à déclarer la guerre, moi qui n’avais cessé de lutter pour prévenir une guerre quelconque et surtout une guerre avec l’Allemagne ! Il partagea mon affliction : « Eh bien ! me dit-il alors, donnez votre démission. — Je ne le puis ; le pays a confiance en moi ; je suis la garantie du pacte qui lie l’Empire à la France. Si je me retirais, on considérerait l’avènement du ministère Rouher comme une sorte de coup d’État contre les réformes parlementaires ; la situation, déjà si grave, se compliquerait de difficultés intérieures. Et puis, ajoutai-je, la guerre est décidée, elle est légitime, elle est inévitable ; aucune force humaine ne pourrait la conjurer aujourd’hui. Puisque nous ne pouvons l’empêcher, notre devoir est de la rendre populaire. En nous retirant, nous découragerions le pays, nous démoraliserions l’armée, nous contesterions le droit de la France et la justice de sa cause. — Qu’espérez-vous donc ? — Pour moi rien. Après la victoire (dont j’étais sûr comme tout le monde), l’esprit militaire essaiera d’escamoter la liberté, mon œuvre sera menacée ; mais qu’y faire ? Le devoir m’ordonne de rester, je reste. »


EMILE OLLIVIER.