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recherchâmes si ce retentissant soufflet ne pourrait pas être effacé de notre joue par une conférence ! Gramont lance l’idée. Nous l’approuvons, moi comme les autres, et même plus que les autres, car, au dire de mes collègues, il paraît que je m’élevai aux considérations les plus admirables. Louvet et Plichon, profitant d’un instant de répit, conjurent l’Empereur de ne pas remettre la solidité de son trône aux hasards d’une guerre, et tous sans exception, nous admettons l’appel au Congrès européen. Je rougis en narrant cet évanouissement de courage, qui nous honore peu, mais je me suis promis d’être absolument sincère. L’expédient du Congrès était bien usé : à chacun de ses embarras, l’Empereur l’avait essayé et toujours en vain. Nous nous efforçâmes de le rendre présentable sans ridicule en le rajeunissant par la forme. Nous essayâmes d’un grand nombre de rédactions : enfin, en parlant, je trouvai un tour qui parut heureux. « Allez vite écrire cela dans mon cabinet, » me dit l’Empereur en me frappant sur le bras. Et, en même temps, deux larmes coulent le long de ses joues. Je revins avec mon projet ; nous y fîmes quelques changemens et nous l’adoptâmes. L’Empereur eût voulu que nous le lussions immédiatement aux Chambres ; mais il était trop tard : ni le Sénat ni le Corps législatif ne devaient plus être en séance ; de plus, nous étions épuisés, hors d’état d’affronter le déchaînement qui nous eût accueillis. Nous remîmes notre communication au lendemain. Néanmoins, avant de quitter les Tuileries, l’Empereur écrivit à Le Bœuf un billet qui, sans contenir l’ordre de ne pas rappeler les réserves, laissait percer quelque doute sur l’urgence de la mesure.


XIII

Lorsque je sortis de l’espèce de réclusion dans laquelle nous délibérions depuis de si longues heures, j’éprouvai ce que ressent un homme qui, d’une atmosphère étouffée, revient à l’air libre : les fantômes cérébraux se dissipent et l’esprit reprend la conscience des réalités. Le projet auquel nous nous étions arrêtés m’apparut ce qu’il était : une chimérique défaillance de courage. Je pus me convaincre bien vite de l’interprétation que le public en aurait faite. A mon retour à la Chancellerie, je réunis ma famille et mes secrétaires, et donnai lecture de la Déclaration arrêtée. Mes frères, ma femme, mon secrétaire