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« Un supplément de la Gazette de l’Allemagne du Nord qui a paru à dix heures du soir contient en résumé ce qui suit : « L’ambassadeur de France ayant demandé, à Ems, à S. M. le roi de l’autoriser à télégraphier à Paris qu’elle s’engageait pour l’avenir à ne pas donner son consentement à la candidature de Hohenzollern, si elle venait à se poser de nouveau, le Roi a refusé de recevoir l’ambassadeur et lui a fait dire par l’aide de camp de service qu’il n’avait plus rien à lui communiquer. » Cette nouvelle, publiée par le journal officieux, jette une vive émotion dans la ville. »

— Benedetti ne vous avait donc pas prévenu ? dis-je à Gramont. — Voici, me répondit-il, ce qu’il m’a télégraphié dans l’après-midi. Ces quatre télégrammes me sont arrivés successivement dans la soirée, et je n’avais pas cru urgent de les joindre à mes deux billets. » Après avoir lu les télégrammes de Benedetti, je relus celui de Lesourd. Je compris l’exclamation de Gramont. On n’échoua jamais plus près du port. Je restai quelques instans silencieux et atterré. « Il n’y a plus d’illusions à se faire, dis-je, ils veulent nous obliger à la guerre. » Nous convînmes que je réunirais tout de suite mes collègues afin de les mettre au courant de ce coup imprévu, tandis qu’il retournerait aux Affaires étrangères où Werther s’était fait annoncer. Survint alors Olozaga, aussi tranquille que je l’étais moi-même quelques instans auparavant, pour entendre la lecture de ma Déclaration pacifique. Je lui donnai connaissance des télégrammes de Benedetti et de celui de Lesourd. Il ne fut pas moins consterné que je l’avais été. Serviable et empressé, il m’offrit de courir chez Werther, afin d’obtenir quelques explications si cela était possible. J’acceptai, mais il ne rencontra pas l’ambassadeur prussien. Nos collègues ne tardèrent pas à arriver, très troublés ; ils ne pensèrent pas qu’il fût possible de différer jusqu’au soir un Conseil plénier et me chargèrent de télégraphier à l’Empereur la prière de venir aux Tuileries l’après-midi, pour le présider.

A midi et demi, l’Empereur arrivait aux Tuileries et nous réunissait autour de lui. Il avait traversé, comme nous, une foule impatiente et colère, de laquelle s’élevaient des cris stridens, des excitations désordonnées, des protestations contre les lenteurs diplomatiques. Notre délibération dura près de six heures. Au début de la séance, Gramont, laissant tomber son portefeuille