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Bruxelles et Rome. Le 14 au matin, le Moniteur prussien le publiait en tête de sa partie non officielle. Pendant qu’on l’affichait sur les murs, qu’on le criait dans les rues, qu’on l’authentiquait dans la Gazette officielle, les agences télégraphiques le jetaient dans toutes les régions où un journal pénètre. Enfin, dans les capitales principales, les ambassadeurs ou ministres de la Confédération du Nord se présentaient chez les ministres des Affaires étrangères et leur en donnaient officiellement connaissance. Dans toutes les langues, dans tous les pays, courait la falsification offensante lancée par Bismarck. L’effet de cette publicité effroyable se produisit d’abord en Allemagne avec autant d’intensité qu’à Berlin. « On accueillit avec joie le congé donné à Benedetti, précisément en raison de ce qu’il paraissait contenir de dur et d’offensant pour la France.

Les journaux faisaient rage. Dans les caricatures, on voyait au fond : la première pièce de l’appartement du Roi à Ems avec une fenêtre ouvrant sur la promenade ; au premier plan, Benedetti en grand uniforme, honteux et capot, arrêté par un aide de camp qui lui barrait le passage d’un air narquois ; on racontait que le Roi lui aurait brusquement tourné le dos et dit à son adjudant : « Dites à ce monsieur que je ne lui donne aucune réponse ; je ne le reverrai plus. » Avant même l’ordre de mobilisation du Roi, le peuple se levait comme un seul homme avec une seule âme. Cette émotion puissante était l’œuvre de la dépêche d’Ems. Cette dépêche a déchaîné le furor teutonicus, la sainte colère du « Mich » allemand.

Le Roi ressentit comme son peuple l’effet de la manœuvre de son chancelier. Il était sur la promenade des Sources à Ems, le 14 au matin, quand on lui communiqua le télégramme arrangé qui ressemblait si peu à la relation écrite par Radziwill. Il le lut deux fois, très ému, le tendit à Eulenbourg, qui l’accompagnait, et lui dit : « C’est la guerre. » — « C’est la guerre ! » disait encore au même moment le ministre prussien à Berne, comme s’il eût entendu l’exclamation de son Roi. Notre ministre, Comminges-Guitaud, se rendait pour affaires courantes au palais fédéral ; à ce moment, le général comte Reder, ministre prussien, sortait de chez le président de la Confédération. Dès que Reder aperçut Comminges-Guitaud, il vint vers lui et lui dit : « Eh bien ! mon cher comte, nous allons donc nous faire la guerre ; j’en suis consterné. Donnons-nous une dernière fois la main avant de