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que l’attitude offensante de la France laisserait dans les rapports entre les deux pays.

Au milieu de cette effervescence, il reçoit d’Ems le rapport de Werther. Dans la recherche furieuse à laquelle il se livrait du moyen de faire éclater la guerre, s’il avait pu plausiblement considérer notre conversation avec l’ambassadeur prussien comme la demande d’une lettre d’excuses, il eût eu immédiatement sous la main plus qu’un prétexte, une raison légitime, et il ne l’eût point laissée échapper. Malgré sa colère, il était trop homme d’État pour se croire autorisé à trouver, dans un entretien non authentiqué par celui auquel on l’a prêté, le motif d’une guerre. Il se rappela sans doute ce qu’il avait écrit récemment à propos de Benedetti : « Il est hors de doute que le comte Benedetti a eu l’intention de reproduire ma manière de voir, aussi exactement que possible, mais la différence des points de vue et des impressions personnelles exerce une influence qui ne permet pas toujours, en resserrant les détails d’une longue conversation dans le cadre d’un compte rendu sommaire, de faire paraître sous leur vrai jour la totalité de l’échange d’idées qui a eu lieu et de laisser à chacune les reproductions partielles exactement significatives que leur contenu aurait, si elles se trouvaient reproduites dans le rapport avec le reste de l’entretien. » Il télégraphia donc à Ems de ne pas communiquer au Roi la dépêche de Werther et de la considérer comme non avenue. Ainsi, pas plus à Berlin qu’à Ems le rapport Werther n’a eu la moindre influence sur les négociations et n’a modifié leur tournure. Keudell, qui était à côté de Bismarck, le constate : « Le rapport n’eut d’autre conséquence que d’attirer à notre représentant, outre son congé immédiat, une réprimande sévère pour sa complaisance à se faire l’interprète d’une aussi offensante proposition. Du côté français, il n’a jamais été question de cela vis-à-vis de nous. » En effet Bismarck rappelle Werther, mais non pour nous signifier une rupture, puisque Werther doit expliquer son départ par la nécessité d’une cure d’eaux ; il le rappelle pour le punir d’avoir, en sa naïveté d’honnête homme, paru, en écoutant nos griefs, en avoir reconnu la justesse. Sentant bien qu’il n’avait rien à attendre de Paris, Bismarck tendait l’oreille du côté d’Ems. C’est de là qu’allait lui venir le moyen d’engager cette guerre qu’il avait décidée. Comment le Roi se serait-il conduit envers Benedetti, après les télégrammes comminatoires dont il l’avait harcelé ?