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d’hommes qui, dans l’espace de quelques heures, sans efforts appareils, par un simple geste, avaient renversé un gouvernement qu’on jugeait formidable, qui l’avait été en effet pendant plusieurs siècles et qui, dans ces dernières années, avait encore paru très imposant ? De ce qu’on attendait d’eux, en sus du bienfait que la révolution avait procuré tout de suite, il faut bien reconnaître que les Jeunes-Turcs n’ont pas réalisé grand’chose. Sans doute on leur restait reconnaissant d’avoir renversé le régime de délation d’Abdul-Hamid, mais on se demandait s’ils étaient vraiment aptes à donner au pays un gouvernement, à la place de celui qui ne fonctionnait plus depuis que la pièce principale en avait été cassée. À cette question l’événement n’avait encore donné aucune réponse après dix mois d’attente, et on commençait à trouver le temps long.

De plus, par une fatalité inéluctable aussi, mais à coup sûr regrettable, le parti vainqueur s’est divisé dès le lendemain de sa victoire, sans même attendre qu’elle fût consolidée. Le Comité Union et Progrès, qui avait fait la révolution, n’a pas tardé à voir se former en dehors de lui, bientôt contre lui, un nouveau Comité qui a pris le nom d’Union libérale, et une lutte d’influence a commencé entre eux. Elle a été très active au moment des élections, et a tourné, complètement à l’avantage du Comité Union et Progrès. Il a fait élire à peu près la Chambre qu’il a voulu et a combattu, à Constantinople même, la candidature du grand vizir Kiamil pacha. Kiamil n’a eu qu’un nombre de voix dérisoire, ce qui n’a pas empêché le Sultan de le maintenir au pouvoir, sans doute pour faire contrepoids au pouvoir des Jeunes-Turcs. Mais la situation de Kiamil était naturellement très faible, malgré la considération que sa vieille expérience lui avait acquise au dedans et encore plus au dehors : à la première occasion, les Jeunes-Turcs se sont débarrassés de lui au moyen d’une simple injonction qu’ils ont adressée au Sultan. Kiamil venait de modifier la composition de son ministère par une sorte de petit coup d’État dont il a fourni des explications embrouillées. On pouvait apercevoir l’action d’une volonté indépendante. Si les Jeunes-Turcs n’ont pas su gouverner, ils n’ont pas toléré qu’on gouvernât sans eux : le crime de Kiamil est d’avoir voulu le taire. Il a été remplacé par le candidat de la Jeune-Turquie, Hussein Hilmi pacha, ancien inspecteur général des réformes en Macédoine, où il avait donné l’impression d’un habile administrateur, d’un esprit éclairé, d’un homme distingué. Ce choix qui, à distance, nous avait paru bon, a soulevé surplace beaucoup de critiques ; on a commencé à trouver que les prétentions du Comité Union et Progrès devenaient excessives ;