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Bientôt l’ambassadeur menaça, si le boycottage continuait, de quitter Constantinople, rompit les négociations entamées au sujet de la Bosnie et annonça qu’elles ne pourraient être reprises qu’après la cessation complète du boycottage. Le boycottage continua, plus rigoureux que jamais, le margrave Pallavicini resta à Constantinople et ce fut lui qui reprit les pourparlers qui aboutirent à l’accord austro-turc du 27 février. Le gouvernement de Vienne consentait à payer à la Turquie, pour l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, une somme totale de 54 millions de francs. Quelques jours plus tard, hamals et mahonniers recommençaient à décharger les bateaux autrichiens, le boycottage était fini : il n’avait pas été inoffensif.


IV

Les conflits internationaux tendent de plus en plus à devenir des conflits économiques ; il est donc naturel que les peuples empruntent leurs armes à la vie économique. Entre deux nations modernes, la sécurité du commerce est la condition essentielle des bonnes relations. Napoléon, le premier, avait compris qu’en ruinant le commerce d’un adversaire on pouvait l’amener à capituler ; le plus grand homme de guerre des temps modernes a eu ainsi l’intuition d’une forme nouvelle de la guerre ; nous venons d’en voir les premiers essais. Le baron d’Æhrenthal n’a pas eu que des raisons d’ordre économique de signer un accord avec la Turquie, mais ces raisons ont certainement contribué pour une large part à sa décision ; les plaintes des Chambres de commerce, des industriels, des négocians, des compagnies de navigation, de la presse, ne peuvent pas être restées sans effet. C’est là un événement nouveau et considérable. Il montre que, dans certaines conditions, la guerre économique ainsi comprise peut conduire au succès quand la guerre militaire conduirait inévitablement à l’échec. Militairement la Turquie était moins forte que l’Autriche-Hongrie, la Chine que le Japon ou les Etats-Unis.

Le boycottage, pour être efficace, pour être même possible, exige certaines conditions particulières que nous avons trouvées dans le cas de la Chine comme dans celui de la Turquie : le pays qui peut pratiquer avec succès le boycottage est celui qui est importateur de produits fabriqués, qui sert de débouché aux nations industrielles et qui, au contraire, pour sa nourriture, se suffit à