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parcourt Stamboul et Péra, et vient pousser des acclamations devant les ambassades de France et d’Angleterre. Le 18, un meeting d’israélites, auquel assistent plus de 3 000 membres de la colonie juive, décide de participer au boycottage. Le fez, la coiffure nationale des Ottomans, dénoncé comme fabriqué en Autriche, est proscrit ; on voit les « patriotes » déchirer publiquement leur fez rouge et arborer le fez blanc ou le kalpack d’astrakan noir ; on parle de mettre au concours une coiffure nationale et l’on voit, dans les rues, à Constantinople, à Smyrne, à Trébizonde, des manifestans décoiffer les passans qui portent un fez rouge.

Mais le boycottage le plus efficace, ce furent les plus humbles et les plus pauvres des Ottomans qui l’exécutèrent. Les harnais et les mahonniers sont les auxiliaires indispensables du commerce : les harnais sont ces portefaix « forts comme des Turcs » que l’on rencontre, dans les rues étroites des villes d’Orient, ployant sous le poids d’invraisemblables fardeaux ; les mahonniers sont les patrons de ces allèges ou mahonnes grâce auxquelles on charge ou on décharge les navires partout où ils ne viennent pas à quai. Harnais et mahonnadjis sont groupés en corporations puissantes el disciplinées. Dans tous les grands ports de l’Empire, ils décident de ne plus prêter leur concours aux bateaux autrichiens, ni à ceux des autres nationalités qui accepteraient des marchandises autrichiennes. Le 30 novembre, à Constantinople, quelques portefaix grecs ayant manqué à leur parole et accepté de travailler pour un vapeur du Lloyd, ils sont saisis, conduits devant le Comité de boycottage et contraints de jurer fidélité au mouvement ; le même soir, harnais et mahonnadjis tiennent un grand meeting dans lequel tous jurent de rendre le boycottage encore plus rigoureux. Une surveillance organisée dans les principaux ports de l’Europe signale aux comités de boycottage l’embarquement de marchandises autrichiennes et pour peu qu’un navire, quelle que soit sa nationalité, tente de tromper la surveillance, il est lui-même boycotté et ne réussit pas à débarquer sa cargaison. Le commandant d’un vapeur français ayant embarqué par erreur à Constantinople une petite caisse d’armes de provenance autrichienne pour Trébizonde, est averti par les harnais que, s’il la garde à bord, son navire sera boycotté à Trébizonde. Jusqu’à la signature de l’accord austro-turc qui met fin au boycottage, les navires autrichiens, dans les