Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rappelons brièvement les faits : le 10 février 1905, dans la rivière de Canton, une canonnière chinoise visite un bateau des Messageries japonaises, le Tatsu-Maru, et le trouve porteur de quatre-vingt-seize caisses contenant chacune 24 fusils Mauser et de quarante-six caisses de munitions, le tout venant de Hong-Kong et destiné aux révolutionnaires du Kouang-Toung ; le vice-roi ordonne la confiscation du bateau et de la cargaison. L’affaire, en elle-même, était sans gravité, mais le baron Hayashi appartient à cette école d’hommes d’Etat japonais qui prétendent en imposer à la Chine par la force ; il prescrit à son ministre à Pékin de protester énergiquement contre la saisie d’un bateau qui se rendait à Macao, port portugais, et d’exiger que le navire soit relâché immédiatement, que des excuses soient présentées pour l’insulte au pavillon qui avait été amené et remplacé par le pavillon chinois, que les officiers de la canonnière soient punis et qu’une indemnité soit payée au Tatsu-Maru pour le retard subi par lui. Le gouvernement chinois, intimidé, cède (20 mars) ; sa faiblesse, et surtout l’âpreté hautaine, la mauvaise volonté évidente du Japon provoquent dans toute la Chine une violente explosion de colère. Dès le 10 mars, les Cantonais tiennent un meeting pour sommer le gouvernement de tenir bon et menacer les Japonais d’un boycottage. A la nouvelle de la capitulation du gouvernement, un nouveau meeting s’assemble ; la salle est toute tendue de blanc, en signe de deuil ; une foule immense proteste contre « la honte soufferte par le pays ; » le boycottage de tous les articles japonais est décidé et, séance tenante, les commerçans apportent sur la place et brûlent ceux qu’ils ont en magasin ; les coolies refusent de décharger les bateaux japonais et les guildes annoncent que tout commerçant convaincu d’avoir acheté des marchandises interdites sera frappé d’une amende de 500 dollars ; les enfans des écoles jurent de ne plus acheter aucun objet japonais. Quelques jours après (13 avril), dix mille femmes et jeunes filles, toutes vêtues de blanc, se réunissent dans un temple pour pleurer la honte nationale, s’engagent à se priver d’articles japonais et à stimuler la résistance patriotique de leurs maris et de leurs frères. Ni les ordres réitérés du gouvernement, ni les efforts des Japonais ne réussissent à arrêter le mouvement ; à Manille, à Hanoï, à Saïgon, aux îles Havaï, le boycottage s’organise ; à Hong-Kong, les vapeurs japonais quittent le port sans une tonne de