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présent, on pourrait soutenir qu’il la contredit et la dément. A la fin de sa carrière, pour remplir son plus vaste dessein et combler en quelque sorte son idéal, Beethoven a douté de l’orchestre et appelé le chant à son secours. Wagner, au contraire, devant l’ineffable, a désespéré de l’accent des lèvres humaines et préféré les voix de la matière, celles du bois et du métal, à celles de la chair et du sang.

Le Vaisseau Fantôme offre le premier exemple de ces silences parlans. Au troisième acte de Tannhäuser, l’orchestre accompagne et commente la muette sortie d’Elisabeth. Il rappelle et rapproche autour d’elle deux thèmes du passé, celui de son duo avec Tannhäuser et celui du chant d’amour de Wolfram. La symphonie ainsi nous remémore et la félicité trop brève de la jeune fille, et le chaste hommage qui lui fut, avant l’outrage impur, autrefois adressé. Dans la scène de l’interrogatoire, de Lohengrin, l’orchestre seul répond d’abord, à la place d’Elsa accusée de fratricide. Le duo nuptial, du même opéra, s’achève par un épilogue tout instrumental et qui donne une impression étrangement forte de désolation et de ruine.

Les drames suivans abondent en beautés du même genre : « chansons de gestes, » que l’orchestre chante, mais tableaux vivans, que fait vivre la symphonie seule, à la pantomime unie. Sous une hutte de branchages, devant un feu qui meurt, je vois Sieglinde apporter à boire à Siegmund épuisé ; j’entends le murmure et le courant des violoncelles, aussi pur, aussi frais que l’eau même de la muette libation. Muet pareillement, l’embrassement passionné, frénétique, dont l’orchestre entier, avec Wotan lui-même et plus ardemment encore, enveloppe Brünnhilde punie et pardonnée. Quelques instans après, c’est dans le silence toujours que le dieu consommera le paternel sacrifice, et, comme son étreinte suprême, taciturne sera son dernier baiser. En même temps que ses lèvres, l’orchestre seul le déposera sur les paupières virginales, d’où certains accords, descendans et chromatiques, sembleront aspirer lentement la lumière, la vie et la divinité.

Non moins que les dieux de Wagner, ses héros humains, un Tristan, un Parsifal, savent être sublimes en silence, par un silence que la symphonie anime et remplit. Absens même, la symphonie les évoque, et quelquefois elle nous les représente plus héroïques peut-être qu’ils ne paraîtraient et ne parleraient