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autre, une seule, se pose. « Luft ! Luft ! de l’air ! » s’écrie Iseult en furie, et la tenture qui fermait le pont du navire s’écarte, et, comme un souffle de brise, l’insouciante chanson du matelot arrive ou plutôt revient jusqu’à la vierge en courroux. Mais un grondement de timbales maintenant s’y ajoute et, pour faire la chanson tout autre, pour en renouveler, en élargir le sens, c’est assez de ce reste de colère au-dessous de ce calme et de cette sérénité. Au dernier acte, même rencontre, et la mélodie du berger, comme celle du matelot tout à l’heure, ne recevra que d’un vulgaire tremolo, c’est-à-dire de l’effet d’orchestre le plus sommaire, un surcroît prodigieux de pathétique et de poésie.

Nous ne voyons ici que le premier abord. Mais les deux élémens ne tardent pas à se fondre et leur pénétration réciproque forme peut-être le caractère par excellence, au moins dans l’ordre musical, du génie wagnérien. Wagner, disions-nous, s’en est expliqué lui-même. Dans sa Lettre sur la musique, il pose avant tout ce principe, « que l’unique forme de la musique est la mélodie, que sans la mélodie la musique ne peut même pas être conçue, que musique et mélodie sont rigoureusement inséparables. Dire d’une musique qu’elle est sans mélodie, cela veut dire seulement, pris dans l’acception la plus élevée : le musicien n’est pas parvenu au parfait dégagement d’une forme saisissante qui gouverne avec sûreté le sentiment. Et ceci indique simplement que le compositeur est destitué de talent, et que ce défaut d’originalité l’a réduit à composer son morceau de phrases mélodiques rebattues, et qui par conséquent laissent l’oreille indifférente. Mais, dans la bouche de l’amateur ignorant, et en présence d’une vraie musique, cet arrêt n’a qu’une signification : c’est qu’on parle d’une certaine forme étroite de la mélodie, laquelle appartient… à l’enfance de l’art musical ; aussi, ne prendre plaisir qu’à cette forme doit-il nous paraître chose vraiment puérile. »

Cette mélodie, au sens large où l’entend Wagner, est, selon Wagner aussi, « le principe de la forme achevée de la symphonie de Beethoven. » Mais elle a pris, dans cette symphonie, un développement extraordinaire ; elle y est devenue parfaite et voici comment. Avant tout, elle s’y est étendue « à toutes les parties de la symphonie, et c’est, à cet égard, la contre-partie de l’opéra italien. En effet, dans l’opéra, la mélodie se trouve par morceaux isolés, entre lesquels s’étendent des intervalles remplis