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à propos de son Roméo, ces lignes que rapporte le plus récent et sans doute le plus sûr de ses biographes : « Si, dans les scènes célèbres du jardin et du cimetière, le dialogue des deux amans, les apartés de Juliette et les élans passionnés de Roméo ne sont pas chantés, si enfin les duos d’amour et de désespoir sont confiés à l’orchestre, les raisons en sont nombreuses et faciles à saisir… Les duos de cette nature ayant été traités mille fois vocalement, et par les plus grands maîtres, il était prudent autant que curieux de tenter un autre mode d’expression. La sublimité même de cet amour en rendait la peinture si dangereuse pour le musicien, qu’il a dû donner à sa fantaisie une latitude que le sens positif des paroles chantées ne lui eût pas laissée, et recourir à la langue instrumentale, langue plus riche, plus variée, moins arrêtée, et, par son vague même, incomparablement plus puissante en pareil cas[1]. »

Un ami de Berlioz, et qui fut un de ses apôtres, Joseph d’Ortigue, saluait à son tour en ces termes l’apparition de Roméo : « Que faire dans la symphonie après Haydn, après Mozart, après Beethoven ?… Berlioz a fait autrement… Obéissant instinctivement à cette force des choses, qui, dans chaque ordre d’idées, entraîne tout élément à son but, il a trouvé le moyen de faire embrasser le drame lyrique et la symphonie dans une magnifique unité et de leur faire contracter une alliance intime… La symphonie et le drame ne demandaient pas mieux. »

Souscrivant à ces anciennes conclusions, et pour conclure lui-même, le moderne historiographe de Berlioz ajoute : « Par ces mots, Joseph d’Ortigue, mystique et avisé, critique et intuitif, n’était pas loin de définir le rôle de Berlioz dans l’histoire de la musique : servir, par son génie de l’expression orchestrale, à cette fusion du drame et de la symphonie d’où sont sortis, avant la fin du XIXe siècle, le drame lyrique wagnérien et le poème symphonique[2]. »

On ne saurait, je crois, sans rien forcer ni fausser, mieux définir et consacrer la part, souvent incomprise ou méconnue, qu’il est juste d’accorder à Berlioz, symphoniste dramatique, dans la formation de l’idéal wagnérien.

  1. Cité par M. Ad. Boschot : Un romantique sous Louis-Philippe. — Hector Berlioz, Paris, Plon, 1908.
  2. M. Ad. Boschot, Ibid.