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ce chef-d’œuvre, autant, sinon plus qu’une scène de drame, est un paysage. La nature est le sujet, et je dirais presque — tellement elle y est vivante, — le personnage essentiel, unique, l’héroïne enfin de cette musique-là. Aussi bien, pour ce modèle il n’y a que cet interprète, et, par la force des choses, l’histoire du paysage fut toujours liée à celle de la symphonie. L’orchestre avait teinté naguère, de nuances encore pâles el qui nous paraissent aujourd’hui pareilles à celles des tapisseries anciennes, les paysages de Gluck. L’orchestre de Weber use d’autres tons et d’autres touches ; il possède un coloris autrement riche, autrement fort, et, jusque dans les gammes sombres, autrement éclatant. Symphonique par les timbres, cet orchestre ne l’est pas seulement ainsi. Les sonorités y ont leur valeur ; elles ne constituent cependant que le dehors et l’ornement de la symphonie. Le fond même est symphonique : par-là j’entends l’abondance et l’ampleur des thèmes, le renouvellement des formes sonores et leur correspondance avec les formes que le spectacle nous montre ou nous suggère. Ajoutez à tout cela l’usage des motifs rappelés, sinon des leitmotive encore, enfin la subordination à l’orchestre de la voix qui déclame ou qui parle plutôt qu’elle ne chante, et vous reconnaîtrez que, dans la hiérarchie des élémens sonores qui composent le célèbre épisode, la symphonie n’est pas loin d’occuper le centre ou le sommet.

Enfin, parmi les devanciers de Wagner, ne trouverons-nous pas un de nos compatriotes ? Si : le dernier, et le plus proche du maître allemand, est des nôtres. Il se nomme Berlioz. Non pas tant peut-être le Berlioz de Benvenuto Cellini et des Troyens, le Berlioz du théâtre, que le Berlioz de Roméo et de la Damnation de Faust, le Berlioz de la « symphonie dramatique, » le plus original et, tout compte fait, le plus grand. Aussi bien, entre la « symphonie dramatique » et l’ « opéra symphonique, » il n’y a guère qu’une interversion de mots, non pas le moins du monde une contrariété de nature, et les deux genres, au fond, peuvent être tenus pour voisins. Accroître, si ce n’est introduire l’orchestre et la symphonie dans la musique française ; prendre l’orchestre pour organe ou pour agent d’une musique avant tout expressive, d’une musique littéraire, d’une musique à programme et par-là dramatique en quelque manière, dramatique à demi, tel paraît bien avoir été le rôle et l’honneur de Berlioz.

Il avait lui-même conscience de sa mission quand il écrivait,