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à l’Irlande un Parlement séparé, tout en lui laissant sa place à Westminster avec la faculté d’y continuer le rôle déplorable qu’elle y jouait depuis quinze ans. Lorsque Gladstone usa les restes de son admirable talent oratoire à rendre vraisemblable et plausible ce projet de constitution, une des chinoiseries les plus compliquées qui aient jamais été soumises aux délibérations d’un parlement, c’est M. Balfour qui assuma la tâche difficile de lui répondre et lutta, pied à pied, contre la mesure fatale. Autant le vieil homme d’État était copieux et surabondant dans ses explications, autant il était enclin à mesurer le temps à ses critiques. Un soir, dans la discussion des articles, il appliqua à M. Chamberlain la clause draconienne du règlement qui coupait la parole aux orateurs, quand c’était le bon plaisir de la majorité de ne pas les entendre, et que, pour cette raison, on appelait la guillotine. Irrité, M. Chamberlain demanda la parole contre la clôture et prononça quelques paroles qui affolèrent les-deux côtés de la Chambre. Il s’ensuivit une bataille à coups de poing à laquelle un grand nombre de membres prirent part et que les efforts réunis de Gladstone et de M. Balfour n’arrêtèrent qu’au bout d’un assez longtemps.

On voit que la direction de l’opposition n’était pas une sinécure, et que, pour avoir quitté le banc de la Trésorerie, M. Balfour ne pouvait se considérer comme en vacances. Il trouva pourtant, pendant cette période de repos relatif, où il était, du moins, déchargé des soucis de la responsabilité, le loisir de publier deux volumes.

L’un était un recueil d’articles publiés dans des revues et de discours non politiques, prononcés en diverses circonstances. J’ai déjà fait allusion à l’article sur Haendel, écrit à propos du bicentenaire de l’illustre musicien. Un autre article a pour sujet l’examen de la vie de Cobden que lord Morley (alors M. John Morley) venait de publier. Il est très important de noter cet article et d’en remarquer la date. Il remonte à 1882 et nous montre quels étaient alors les sentimens de M. Balfour pour le célèbre agitateur dont il est, peut-être, destiné à détruire l’œuvre. Il condamne sans restriction la campagne en faveur de la paix à tout prix. En ce qui touche le Libre-Echange, sa froideur est significative. Pas un blâme, mais pas un éloge. Quant à Cobden, pour M. Balfour, il n’a jamais été un homme d’Etat : il n’a été que le missionnaire (peut-être M. Balfour n’a-t-il pas