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en faire une réalité et une force. Une personne admirablement placée pour connaître les faits a assuré récemment au public que M. Balfour n’avait jamais été membre du quatrième parti. Cette personne jouit de l’heureux privilège que possède une moitié du genre humain et qui lui permet de voir ce qu’elle désire voir. Il lui convient et il lui plaît de nier aujourd’hui l’intime collaboration politique de lord Randolph avec M. Balfour ; mais cette collaboration est prouvée par une autorité indiscutable et qui ne reçoit pas de démentis, par les procès-verbaux des séances du Parlement. Certes, M. Balfour ne devait pas goûter certaines façons de dire et d’agir qui, chez lord Randolph, rappelaient un peu trop ses sympathies américaines, ses cris, ses métaphores énormes, ses hyperboles monstrueuses et toute cette rhétorique hydrophobe qui désignait, un jour, M. Gladstone comme « le Moloch de Midlothian » et montrait l’honnête et vénérable homme d’Etat marchant dans une mare de sang jusqu’à la ceinture. Ces traits devaient singulièrement déplaire à M. Balfour, mais ne pouvaient l’empêcher d’apercevoir et d’apprécier la valeur morale, la parfaite sincérité et la haute intelligence de lord Randolph. Il s’associa donc très franchement à cette campagne qui lui rendit à lui-même la foi dans les destinées de son parti et dans les siennes.

Cette campagne ressemble assez à celle des Cinq dans notre Parlement français de 1857 à 1863. Mais, tandis qu’il y avait, parmi les Cinq, un médiocre et une non-valeur absolue, les quatre membres qui composaient le quatrième parti, lord Randolph Churchill, Gorst, Drummond Wolff et Arthur Balfour étaient tous des hommes distingués. Leur politique était double : elle était négative et positive. Elle se composait d’une tactique et d’une doctrine. La première, empruntée à l’obstructionnisme irlandais, consistait à harasser le gouvernement, à user sa force dans des discussions sans but comme sans fin. La seconde était l’interventionnisme qui remet aux mains de l’Etat toutes les questions relatives à l’organisation du travail, au lieu de laisser ces questions se régler toutes seules par la liberté, par la concurrence et en vertu des bienheureuses lois de l’offre et de la demande. La doctrine de l’interventionnisme a pris des aspects différens dans les différens pays qui en ont fait l’essai. Ici, elle a été monopolisée par le radicalisme, et là, elle a scellé l’alliance des gentlemen et du peuple contre le libéralisme bourgeois. Ce