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connaissaient, ceux qui avaient lu son livre, ce livre qui fouillait avec une si impitoyable perspicacité le dedans et le dessous de tous les systèmes, où il avait mis à nu toutes les vanités philosophiques de l’époque, se faisaient de M. Balfour une idée tout opposée et attendaient de lui des choses toutes différentes. Il allait bientôt leur donner raison.


III

Lorsqu’il rentra au Parlement en 1880, toujours comme représentant de Hartford, mais, cette fois, après une bataille électorale assez ardente, il retrouvait les libéraux maîtres du banc de la Trésorerie, qui est, à St-Stephen, le banc des ministres. Les rangs de son parti étaient bien éclaircis. Disraeli était allé se reposer sur les banquettes rouges de la Chambre des Lords ; il réalisait son rêve, lui le juif vénitien mâtiné d’homme de lettres, de mourir au milieu de cette aristocratie qu’il avait servie, admirée, glorifiée et exploitée. A sa place, en face de Gladstone, siégeait un bonhomme qui était censé conduire le parti conservateur dans les Communes, mais qui, en réalité, laissait ce parti se désagréger dans l’inaction et l’ennui. C’est à ce moment que se révéla, avec un éclat qui tenait du scandale, la personnalité de lord Randolph Churchill. Jusque-là, M. Balfour avait servi son parti comme on sert une cause perdue, par point d’honneur, par fidélité aux ancêtres, aux principes, à tous les devoirs héréditaires. « Je suis, avait-il déclaré un jour dans le Parlement de 1874, un tory de la vieille école. » Or, il voyait les masses populaires entrer à flots dans le pays légal, inonder la politique comme un raz de marée. Le torysme avait vécu, l’avenir était aux radicaux, au-delà desquels on voyait déjà s’approcher des couches encore plus avancées, comme les Huns après les Caudales ou les Burgondes et les Goths après les Huns. M. Balfour était dans la situation d’un soldat qui n’aperçoit plus rien à faire, sinon de se faire tuer. Seulement, pour couvrir et honorer la retraite, il aurait voulu quelques beaux combats d’arrière-garde. Rien de tel à attendre, sous le commandement de Stafford Northcote qui, bien loin d’organiser la victoire, désorganisait la défaite.

Lord Randolph changea l’aspect des choses et réveilla le Parlement. Tapageur, agressif, excessif, lançant autour de lui des