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avait ranimé le Catholicisme. Non seulement l’atmosphère où naît l’enfant est saturée de loyalisme, mais il est lui-même le centre et l’objet d’une sorte de culte monarchique au petit pied. Les vingt fermes du grand et riche domaine de Whittingehame sont en fête, et des feux de joie s’allument sur les collines pour célébrer la naissance de l’héritier des Balfour. La maison où il vient au monde est moderne ; moderne aussi cette grande fortune qui entoure son berceau : son arrière-grand-père est allé la ramasser au Bengale par les procédés ordinaires. Les roupies n’ont aucune peine à devenir aristocratiques dès qu’elles se sont transformées en guinées. Avec l’argent du Bengale, James Balfour, le « nabab » de 1780, a acheté l’ancienne terre seigneuriale des Douglas, avec tous ses souvenirs historiques, y compris le vieil arbre géant sous lequel une légende, — d’ailleurs mensongère, — veut que les assassins de Darnley aient tenu leur conciliabule homicide[1]. Je n’en finirais pas si je voulais rappeler ici tout ce qui s’est passé dans ce coin de terre où toutes les vieilles pierres ont quelque chose à raconter, et où la pensée, — je l’ai éprouvé moi-même lorsque je séjournais à Dunbar, — s’oriente irrésistiblement vers les choses de jadis.

On devine maintenant quel esprit présida à l’éducation de l’enfant. On lui apprit à révérer, en toutes choses, l’autorité et la tradition. Son père disparut de bonne heure sans avoir pu exercer aucune influence sur la formation de son esprit, mais lady Blanche consacra toutes ses forces à l’éducation de son fils et à la gestion de la fortune patrimoniale. Assurément, ce n’était pas une femme ordinaire. J’essaie de la deviner d’après la biographie que lui a consacrée le vénérable recteur de Whittingehame et, surtout, d’après ce que je sais de son frère, le feu marquis de Salisbury. Sa dévotion au passé ne l’empêchait pas de comprendre les besoins de son temps. Elle en donna une preuve dont l’étrangeté fera sourire. A un moment où l’industrie cotonnière était menacée et où la misère était grande parmi les travailleurs du Lancashire, elle imagina d’astreindre ses enfans aux plus humbles fonctions de la domesticité. Arthur Balfour cirait ses souliers sans aucun enthousiasme et mangeait, avec moins d’enthousiasme encore, la déplorable cuisine de sa sœur. On se demandera peut-être si cette « leçon de choses » contribuait à

  1. C’est dans une salle du château de Craigmillar qu’a été signé le pacte en question, appelé, pour cette raison, Craigmillar Bond.