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que la plupart des hommes d’État que j’ai eu la bonne ou la mauvaise fortune de rencontrer. J’ai connu sa sincérité aux inquiétudes intellectuelles qu’il a témoignées. Il a trop douté pour n’être pas convaincu quand il affirme. L’énigme s’est évanouie, avant d’avoir été résolue, devant l’examen des faits, et ce qu’il en subsiste donnera peut-être quelque intérêt aux pages qui suivent. On y verra un homme qui lutte contre sa destinée pour la subir enfin, mais en la dirigeant.

Ces fatalités qui nous entourent et nous oppriment dès avant notre naissance ou qui nous suivent, pas à pas, jusqu’au jour où une liberté tardive a l’air de nous en émanciper, influences de l’hérédité, influences du milieu, influences de l’éducation, ont pesé sur Arthur James Balfour, à son entrée dans la vie, plus, peut-être, que sur aucun de nous. Il naît d’un mariage d’amour qui réunit une famille ancienne à une famille illustre. Les Balfour ont dans les veines le sang de plusieurs vieilles maisons écossaises. Un de leurs ancêtres est ce Maitland, comte de Lethington, qui fut secrétaire d’État de Marie Stuart, un des esprits les plus déliés et les moins scrupuleux de son époque. La mère, lady Blanche Gascoyne Cecil, descend du fameux ministre d’Elizabeth, tige des modernes Salisburies. Or, Maitland et Cecil, qui ont comploté ensemble l’union des deux royaumes, sont les inventeurs de l’impérialisme et, par conséquent, les deux plus anciens impérialistes que l’histoire connaisse. N’est-ce pas là, déjà, une prédestination ?

Pourquoi lady Blanche donne-t-elle à son premier-né ce prénom d’Arthur ? C’est pour rappeler le duc de Wellington qui l’a aimée, jeune fille, d’une affection galamment grand-paternelle, pour placer l’enfant, en quelque sorte, sous l’invocation du vieux héros, si passionnément monarchiste que, le jour du couronnement de Victoria (c’est une lettre de la marquise de Salisbury, mère de lady Blanche, qui nous livre ce détail), il était choqué de voir se détourner sur lui quelque chose de l’enthousiasme populaire qui était dû, pensait-il, à la Reine, rien qu’à la Reine. Remarquez, d’ailleurs, le millésime : 1848. C’est l’année des tempêtes politiques ; un vent de révolution souffle sur l’Europe, les vieilles sociétés se réveillent, comptent leurs défenseurs, ramassent leurs forces pour la bataille suprême qui sauvera, à la fois, leur idéal et leur coffre fort. L’explosion républicaine ravive le sentiment monarchique, comme la Réforme