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risible. Notre patrie n’est-elle pas partout où nous avons des frères, c’est-à-dire des travailleurs qui souffrent ? » Est-ce tout ? M. Yvetot déclare encore que les fonctionnaires ne reculeront pas devant le sabotage, « lorsqu’on voudra les brimer. » Tous les moyens leur seront bons pour détruire et piétiner ce qui leur fera obstacle. La franc-maçonnerie elle-même, — le croirait-on ? ne trouve pas grâce devant M. Janvion. « Il y a, dit-il, une garde qui veille autour de l’État : c’est le syndicat d’arrivistes qu’est la franc-maçonnerie. Ces macaques essaient d’attirer à eux nos meilleurs militans, mais nous saurons mettre un terme à cela. » Ce n’est pas bien sûr, car la franc-maçonnerie exerce une attraction presque aussi grande que la Confédération générale du Travail. Mais on le voit, le meeting de l’Hippodrome n’a rien respecté.

Au fond, tout porte ombrage aux syndicalistes, et ils craignent presque également que leurs troupes ne soient débauchées par le parlement ou par la franc-maçonnerie : de là leur colère jalouse contre eux. Les orateurs de l’Hippodrome ont repoussé en termes brutaux le statut qu’un projet de loi propose de donner aux fonctionnaires, et ils ont dit très franchement pourquoi : c’est parce qu’ils ont peur qu’on ne leur enlève par ce moyen une partie de leur armée de mécontens et de révoltés. Raison de plus, semble-t-il, pour que les Chambres votent le statut, bien que le sujet soit « délicat, » comme l’a dit M. Briand au Neubourg, et que, en somme, on ait recours à un mal pour en combattre un autre : tout ce qui affaiblit, en effet, l’autorité du gouvernement sur ses agens est un affaiblissement pour l’État lui-même. Mais il y a gouvernement et gouvernement, et, quand on a affaire à celui d’aujourd’hui, il faut bien lui enlever, ou diminuer entre ses mains un pouvoir dont il ne s’est sûrement pas servi dans l’intérêt de l’État. Seuls, les syndicats protestent, et il faut voir sur quel ton. M. Pataud, qui a l’éloquence familière et gouailleuse, a jeté à pleines mains l’outrage et le ridicule sur le Parlement, et a suscité par-là ce qu’on appelle dans les assemblées une hilarité générale. On peut deviner ce qu’est une hilarité à laquelle 10 000 personnes prennent part. Donc, pas de statut pour les fonctionnaires ; ils doivent être traités comme les autres salariés, afin de marcher avec eux ; à tous la loi de 1884, c’est-à-dire le régime syndical, suffit. Mais il faut une force au syndicalisme : eh bien ! ne l’a-t-il pas ? N’a-t-il pas prouvé qu’il en avait une très efficace dans la grève ? Le gouvernement, avec toute la sienne, n’a-t-il pas capitulé devant lui ? Là est l’avenir pour tous les travailleurs. C’est du moins ce que les votes du meeting de l’Hippodrome