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le droit de méconnaître. » Il n’en aura pas le droit, c’est bien possible mais il le prendra, comme tout le monde le fait aujourd’hui. M. Briand, qui n’est pas un naïf, n’attend sans doute pas grand’chose de l’examen de conscience qu’il prêche à ses collègues et du ferme propos qui doit en être la conséquence ; il sait quelle impitoyable, quelle féroce ruée de sollicitations l’assaille lui-même tous les jours ; il n’ignore pas que, du haut en bas de l’échelle, l’administration de la France est livrée au brigandage des politiciens. Cependant, il affirme que le gouvernement actuel a en lui-même à la fois le mal et le remède. « Sous notre régime de liberté, s’écrie-t-il, on entend les protestations ; les récriminations vont parfois trop loin, mais enfin on entend les plaintes ; l’injustice ne peut pas durer sous la République. Aussi, quand on essaie d’entraîner la classe ouvrière contre la République, se trompe-t-on. Jamais la classe ouvrière ne se tournera contre le régime pour lequel elle a versé son sang. » Ce sont là de belles paroles ; nous demandons qu’on les retienne un moment ; on verra, en effet, bientôt ce qu’il convient d’en penser. Sans doute, la classe ouvrière n’a aucune propension à se tourner contre la République, mais elle pourrait bien y devenir indifférente. L’indifférence, la désaffection sont le danger d’aujourd’hui et encore plus, si on n’y met ordre, celui de demain.

Le discours de M. Briand peut servir de prologue aux incidens dont il nous reste à parler.

Ici se place un intermède suggestif. Le vendredi, 2 avril, a eu lieu à l’hôtel des Sociétés savantes une réunion, qui a été plus nombreuse et surtout plus mêlée que ses organisateurs ne l’avaient prévu. Le but était de conférer sur le statut des fonctionnaires. Cette « réforme » est entre les mains du Parlement, mais il ne se pressait guère de la réaliser, et ne l’aurait certainement pas fait avant la fin de la législature, sans les derniers événemens. Deux organisations différentes veillent aujourd’hui, d’une manière plus ou moins efficace, sur les intérêts des fonctionnaires : l’une préconise l’action parlementaire, l’autre l’action syndicaliste. C’est la première qui a préparé la réunion du 2 avril, mais la seconde s’y est rendue en nombre, très résolue à y jouer un rôle. La réunion était présidée par M. Courrèges, secrétaire général de l’association des Amicales d’instituteurs. Des députés, venus là pour s’instruire, figuraient sur l’estrade, entre autres M. Chaigne, rapporteur de la loi sur le statut des fonctionnaires, MM. Dubief, Joseph Reinach, Steeg, Ferdinand Buisson, Paul Boncour, etc. C’était, on le voit, une belle assemblée, nous allions dire une assemblée