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toutefois, il n’a pas oublié qu’il était ministre, et il y a eu dans sa parole un mélange assez singulier des obligations que lui imposent ses doctrines d’hier et de celles qui résultent pour lui de sa situation d’aujourd’hui. Ainsi, il a parlé en fort bons termes du respect qui est dû au principe d’autorité. « Aucun parti au pouvoir, a-t-il dit, ne peut se soustraire à ce devoir nécessaire. J’ai traversé des heures où j’ai vu se déchirer de vieilles amitiés auxquelles, au fond de mon cœur, je restais fidèle. Je les ai vues se tourner contre moi en invectives, parce que je respectais dans ma conscience le contrat moral que j’avais signé en acceptant une haute fonction, et si ceux-là mêmes, demain, arrivaient à ces postes sérieux, ils seraient obligés de comprendre que, plus un parti a son idéal haut placé, plus son programme de réformes est étendu, plus il a besoin d’ordre dans la nation et de discipline dans ses ressorts. » Nous ne doutons pas que si un des amis de M. Briand était arrivé à sa place à un de ces postes où le monde apparaît sous un autre aspect, il en aurait subi la suggestion à son exemple, et nous ne rechercherons pas ce qui serait arrivé de lui-même si sa bonne fortune, aidée de son mérite, ne lui avait pas donné cette utile leçon de choses.

Du point de vue où il se trouve placé, M. Briand constate que des divisions fâcheuses se sont produites dans le corps social et politique. Autrefois, dit-il, la République était un centre commun pour tous les républicains ; aujourd’hui, « de petits groupes se forment et se séparent ; on se regarde avec défiance, et demain ce regard pourrait devenir fratricide, et ces hommes qui ont donné leur sang à la République pourraient s’entre-déchirer ! » Reculant devant cette vision tragique, il s’écrie que « cela n’est pas possible, » et il continue ainsi : « Oui, ce sont choses nouvelles : je reconnais que, par certains côtés, elles peuvent être inquiétantes, pernicieuses, redoutables. Que voulez-vous ? C’est le premier accès de goutte d’une société qui, politiquement, a vieilli. » Mais aussitôt il nous rassure, ou plutôt il se rassure lui-même en songeant qu’avec un certain régime la goutte devient « un certificat de longue vie. » Cela vaut ce que vaut une métaphore. Lorsqu’il en vient à des conseils plus sérieux, M. Briand recommande la participation aux bénéfices comme une sorte de panacée. Il y a beaucoup de choses à dire à ce sujet : nous ne les dirons pas aujourd’hui. La question, en effet, n’est pas posée d’une manière immédiate et pressante : celle des syndicats de fonctionnaires, avec les menaces de grève qu’elle comporte, est autrement inquiétante. On sait de quelle manière ces menaces viennent de se réaliser. Qu’en pense M. Briand ?