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projet de loi : la Revue a déjà publié sur ce projet des études approfondies, et elle en publiera d’autres à mesure que la question apparaîtra sous des faces nouvelles. Le seul objet de notre chronique est de noter le sens de la manifestation du Sénat. En dépit de la confiance de M. Pelletan, qui escompte hardiment une capitulation de la haute assemblée, les socialistes ne sont pas rassurés, et le plus oratoire d’entre eux, celui dont la voix résonne le plus loin, M. Jaurès, a poussé dans son journal des cris de douleur et de colère. Le Sénat est déjà dénoncé à la vindicte publique ; on l’accuse d’avoir jeté le défi à la démocratie ; on annonce que la démocratie le relèvera comme il convient. Qu’est-ce que le Sénat, après tout ? Le produit du suffrage restreint. Osera-t-il s’insurger contre la Chambre qui représente le suffrage universel ? Peut-être, en effet, ne l’oserait-il pas ; mais on a vu que la Chambre tient beaucoup moins que M. Jaurès à la loi qu’elle a votée, et même que sa déception serait grande si elle ne lui revenait pas du Luxembourg sensiblement amendée. C’est sans doute à une transaction de ce genre que s’arrêtera le Sénat. Il ne faut pas attendre de lui le rejet pur et simple de la loi qui lui est soumise. Des partis pris aussi tranchés ne sont pas dans son caractère. Il étudiera la loi consciencieusement, scrupuleusement, — longuement sans doute ; — il apportera une bonne volonté sincère à la mettre sur pied ; il cherchera en toute loyauté à s’entendre avec le gouvernement, avec celui d’aujourd’hui ou avec un autre, si le ministère actuel ne dure pas aussi longtemps que le feront ses travaux ; et finalement, à une date impossible à déterminer, il aboutira à une loi nouvelle où les principaux défauts de celle de M. Caillaux seront corrigés ou atténués. C’est tout ce qu’on peut espérer ou prévoir. Quant à dire que la future réforme inaugurera chez nous un régime fiscal supérieur à celui que nous ont légué nos pères, nous ne nous hasarderions pas à le faire. Mais les hommes aiment à changer : cela leur donne l’illusion du progrès.


Le 28 mars, M. Briand, ministre de la Justice, a prononcé au Neubourg, chef-lieu de canton du département de l’Eure, un discours auquel les journaux ont fait grand accueil. On sait que M. Briand parle bien. Nous n’avons pourtant pas trouvé, dans ce dernier discours, toute la netteté de pensée et d’expression à laquelle il nous a habitués. Traitant de questions actuelles et brûlantes, et résolu à le faire avec « bonne humeur, » il en a le plus souvent donné des solutions imprécises. La question sociale l’a longuement occupé ; il ne pouvait pas en être autrement, puisque M. Briand est socialiste ;