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meurtri et confus, n’ayant pourfendu que des moulins à vent, vaincu dans sa lutte inégale contre le réel. Nous avions commencé par nous égayer à ses dépens et nous ne songions qu’à nous amuser de son aventure héroï-comique ; à la fin, elle nous laisse une saveur d’amertume. Lui aussi, don Quichotte de la morale, le héros de Connais-toi voit, au dénouement, se dissiper les plus précieuses de ses illusions : celles qu’il se faisait sur lui-même. Il constate l’inanité de l’effort par lequel il avait cru s’élever au-dessus des faiblesses communes. Il s’aperçoit pareil aux autres, à ces autres dont il se croyait si différent et qu’il méprisait. Comment sa déception n’éveillerait-elle pas dans nos âmes un écho douloureux ? Hélas ! se peut-il qu’il en soit ainsi, et que ceux-là aient raison qui tiennent notre nature pour infirme et son infirmité pour incurable ?…

L’analyse que nous venons de donner de Connais-toi, ou, tout au moins, le portrait que nous avons essayé de tracer du principal personnage, ne laissera pas de surprendre ceux qui, ayant vu la pièce, ont présente à l’esprit l’interprétation que M. Le Bargy a donnée de ce rôle. Ah ça ! diront-ils, le général de Sibéran n’est-il donc pas un grotesque ? Non certes. C’est l’interprète qui a résolument tourné le rôle au comique. Il a fait du général de Sibéran la vieille culotte de peau, le Ramollot, le général d’opérette. On n’imagine pas un contresens plus complet ni plus fâcheux. Car ce n’est pas seulement un rôle qui est faussé, c’est toute la pièce qui perd sa signification et devient à peu près inintelligible. M. Le Bargy fait rire et peut-être se réjouit-il de ce succès facile. Quelle erreur est la sienne ! Et combien elle surprend, venant d’un artiste de sa valeur, si bien désigné pour dresser dans sa hautaine intransigeance cette silhouette de vieil aristocrate de la morale ! Mme Bartet, exquise de grâce et d’émotion, a fait du rôle de Clarisse une de ses plus merveilleuses créations. Mlle Lecomte a montré beaucoup de finesse dans le rôle parfois ironique d’Anna Doncières. Je n’en vois point d’autres à louer.


Dans un de ses romans les plus connus, l’Aventure, M. Pierre Veber signalait naguère le danger qu’il y a pour une femme à se laisser suivre dans les rues de Paris par un monsieur qu’elle ne connaît pas. Il mettait en scène une Parisienne bien d’aujourd’hui, curieuse de sensations plutôt qu’embarrassée de scrupules, que tentait une intrigue commencée, au salon de lecture du Bon Marché, avec un Roumain du plus beau noir. De rencontre en rendez-vous et de faveur en complaisance, l’honnête dame s’achemine peu à peu vers les concessions