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la Pucelle, je ne crois pas que l’on puisse hésiter à admettre l’opinion, sur ce point, du plus savant et autorisé de ses biographes, Jules Quicherat. Celui-ci accepte comme authentique l’affirmation suivante d’un prélat du temps, Thomas Bazin, évêque de Lisieux : « Le comte de Dunois, qui était très intime avec le Roi, m’a redit les faits d’après l’assurance expresse de son maître. La Pucelle a confirmé l’authenticité de sa mission en révélant à Charles des matières si secrètes et cachées que nul mortel autre que lui n’avait pu en être informé, si ce n’est par révélation divine. » Ce qu’étaient ces « matières, » Dunois ne l’a pas dit à Bazin, et probablement le Roi lui-même ne l’aura pas dit à Dunois : mais plus tard, après la mort de Charles, le secret a fini par venir au jour.

On voit que le mystère s’éclaircit peu à peu. D’abord, nous n’avons pas moins de dix témoignages contemporains affirmant que la Pucelle a communiqué au Dauphin certaines choses secrètes qui ont paru le remplir de confiance et de joie. En second lieu, deux chroniques, qui probablement n’ont reçu leur forme présente que vers 1468, nous révèlent que ce secret avait rapport à quelque chose que le Dauphin lui-même avait fait, « à un vœu qu’il avait prononcé, » à « quelque chose de très important qu’il avait accompli. » Jeanne aussi, dans son procès, est allée un jour jusqu’à avouer que le « signe » se rattachait à « une action » du Dauphin. Un peu plus tard, vers 1420, dans le Mystère du Siège d’Orléans, le roi Charles, avant l’arrivée de Jeanne, fait une prière secrète, et Jeanne, en arrivant, lui rappelle cette même prière. Il ne reste plus qu’à connaître les détails de la prière, qui, pour des motifs trop évidens, ne pouvait pas être rendue publique du vivant de Charles VII : ces détails nous sont donnés dans un livre de Pierre Sala, les Hardiesses des Grands Rois, paru en 1516.

Sala avait été au service de Louis XI, fils de Charles VII, et de Charles VIII. Vers l’an 1480, il s’était lié très intimement avec de Boisy, qui avait été autrefois gentilhomme de la Chambre de Charles VII. À ce Boisy le Roi s’était ouvert de son secret. Au moment le plus critique de sa vie, en 1428, se trouvant seul dans son oratoire, il avait fait une prière mentale, sans « émettre une parole, mais implorant Dieu dans son cœur que, s’il était vraiment l’héritier du royaume, issu du sang de la noble maison de France, il plût à Dieu de le garder et défendre, ou du moins de lui accorder la grâce d’éviter mort ou captivité, et de gagner l’Espagne ou l’Ecosse, dont les rois avaient été, de tout temps, frères d’armes et alliés des rois de France. » Puis, lorsque la Pucelle était venue annoncer sa mission, « elle l’avait confirmée en répétant au Roi la susdite prière. »

Nous possédons plusieurs autres versions anciennes, ne différant de celle-là que sur des détails : mais le récit de Sala s’appuie sur un témoignage autorisé, et Quicherat estime que l’historien est en droit de tenir pour certaine l’authenticité de la révélation. Au reste, Jeanne n’a-t-elle pas dit à ses juges que, avant de quitter Vaucouleurs, ses Voix lui avaient promis un « signe » qui convaincrait le Roi ?

Vallet de Viriville a été forcé de reconnaître, à l’appui de ces faits, un concours de témoignages des plus imposans. Mais comme ces faits, admis pour vrais, impliqueraient chez la Pucelle l’existence de ce que nous appelons des « facultés supernormales, » Vallet de Viriville leur donne une