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Ce « prodige » que des compatriotes de la Pucelle s’efforcent d’ « atténuer, » les contemporains ont été unanimes à le proclamer, sauf à y voir un prodige de sorcellerie, directement inspiré de Satan. Vers le milieu d’avril 1430, une lettre du duc de Bourgogne au Conseil anglais constate que la campagne de l’été précédent a complètement et définitivement changé la situation antérieure. Nombre de villes et de forteresses, naguère soumises aux Anglais, sont à jamais perdues pour eux ; et Paris même ne saurait larder à être reconquis par les troupes françaises. Mais un document bien plus significatif encore est une lettre de Bedford à Henri VI, dont Quicherat n’a connu que des fragmens, et n’a pu apprécier l’extrême importance. Cette lettre, que l’érudit français croyait datée de juillet 1429, a été écrite beaucoup plus tard, en décembre 1433. Le duc Bedford, qui dès 1430 avait insisté sur l’obligation, pour les Anglais, de s’emparer à tout prix de « Jehanne la Pucelle, personnage militaire, et chef principal des armées du Dauphin, » expose maintenant à son roi les résultats déplorables de l’intervention de ce « personnage militaire. » Il en voit l’unique source dans le « grand coup porté aux Anglais devant Orléans, et dû surtout à la panique causée par la Pucelle. » Jusqu’à ce « grand coup » d’Orléans, « toutes choses ont prospéré pour Henri VI. » La Brie, la Champagne, l’Auxerrois, le Nivernais, le Maçonnais, l’Anjou, le Maine, autant de provinces que l’on pouvait croire soumises pour toujours à la couronne anglaise. Mais après la « panique » d’Orléans, poursuit Bedford, « plusieurs de vos grandes cités et villes, telles que Reims, Troyes, Châlons, Laon, Sens, Provins, Senlis, Lagny, Creil, Beauvais, ainsi que la substance des régions de Champagne et de Beauce et une partie de la Picardie, ont cédé aux Français sans résister ni attendre secours. » Dans le royaume entier, les habitans soumis au pouvoir anglais sont « ruinés, » ne pouvant ni cultiver leurs terres et vignobles ni profiter de leurs marchandises. Si bien que Bedford a dû venir exprès en Angleterre, pour supplier son roi de tenter un dernier effort. Que si cet effort tarde à se produire, il faudra « désespérer » de conserver en France aucun sujet anglais ; ce royaume, naguère presque entièrement conquis, se trouve en « opprobre notoire » d’être perdu à jamais.