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tour. C’est ainsi que l’on meurt à Port-Royal. Aucun geste, aucun cri, aucune plainte ; des larmes tout intérieures ; mais le cœur se brise, et, par la fissure intime, la vie s’écoule avec les pleurs…


Sainte-Beuve, à propos de Jacqueline Pascal, a écrit de belles et pénétrantes pages sur les sœurs des grands hommes qui, « quand elles sont égales, sont plutôt supérieures à leur frère illustre. Elles se retrouvent meilleures. Ce sont comme des exemplaires de famille, des doubles du même cœur, qui se sont conservés sans aucune tache au sein du foyer, ou dans l’intérieur du sanctuaire. » Comme le critique a ici délicatement raison ! Dans « l’ordre » de l’intelligence et du génie littéraire, la sœur de Sainte-Euphémie est assurément moins grande que son frère ; dans « l’ordre » du cœur, de la moralité, et de la sainteté, ne lui est-elle pas supérieure ? Chez elle, rien de ces compromissions, de ces défaillances, de cette poussière d’humanité dont Pascal lui-même a subi l’atteinte. Sa vie nous présente la simplicité d’ordonnance et l’unité d’une belle tragédie classique. Eprise d’« honnêteté » tout d’abord, elle traverse, sans s’y attarder, le bel esprit et la frivolité des distractions mondaines ; ni son esprit, ni son cœur ne s’en laissent corrompre ; elle est comme indifférente aux séductions du milieu qui l’acclame, et comme dans l’attente d’un idéal supérieur. Quand cet autre idéal lui est révélé par son frère, elle l’embrasse avec une ferveur et, pour ainsi parler, avec une plénitude d’âme dont rien d’humain ne saurait désormais la distraire ou la divertir. Ce n’est pas, comme chez Blaise, son intelligence seule, c’est son être tout entier qui est engagé dans cette première et, pour elle, définitive conversion. Sa voie découverte, elle la suit avec une âpreté d’énergie, une rigueur de logique, un besoin d’aller jusqu’au bout de son sacrifice, bref, une virilité d’héroïsme dont il n’y a pas beaucoup d’exemples. Jacqueline Pascal est un admirable type de ces fortes générations de la première moitié du XVIIe siècle, dont nous retrouvons l’image, à peine idéalisée, dans le théâtre de Corneille. Le vieux poète n’a guère eu qu’à copier ce qu’il voyait autour de lui pour faire de ses drames une vivante école de grandeur d’âme. La petite poétesse dont à Rouen il avait salué la réputation naissante est digne de figurer parmi ses plus nobles héroïnes. Jacqueline Pascal, c’est Pauline après la grâce.