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Je ne puis plus dissimuler la douleur qui me perce jusqu’au fond du cœur[1] de voir que les seules personnes à qui Dieu a confié sa vérité lui soient si infidèles, si je l’ose dire, que de n’avoir pas le courage de s’exposer à souffrir, quand ce devrait être la mort même, pour la confesser hautement.

Je sais le respect qui est dû aux puissances de l’Église ; je mourrais d’aussi bon cœur pour le conserver inviolable, comme je suis prête à mourir avec l’aide de Dieu pour la confession de ma foi dans les affaires présentes.


Ce n’étaient point là, — elle allait le faire voir, — de vaines paroles. Et du geste, de l’accent de Polyeucte marchant au supplice :


Que craignons-nous ? Le bannissement et la dispersion pour les religieuses, la saisie du temporel, la prison et la mort, si vous le voulez : niais n’est-ce pas notre gloire[2] et ne doit-ce pas être notre joie ?

Renonçons à l’Évangile, ou suivons les maximes de l’Évangile ; et estimons-nous heureuses de souffrir quelque chose pour la justice. Mais peut-être on nous retranchera de l’Église : mais qui ne sait que personne n’en peut être retranché malgré soi, et que l’esprit de Jésus-Christ étant le lien qui unit ses membres à lui et entre eux, nous pouvons bien être privés des marques, mais non jamais de l’effet de cette union, tant que nous conserverons la charité, sans laquelle nul n’est un membre vivant de ce saint corps ? Et ainsi ne voit-on pas que tant que nous n’érigerons point autel contre autel, que nous ne serons pas assez malheureuses pour faire une Église séparée, et que nous demeurerons dans les termes du simple gémissement et de la douceur avec laquelle nous porterons notre persécution, la charité qui nous fera embrasser nos ennemis… nous attachera inviolablement à l’Église.


Ce n’est pas qu’elle n’« admirât la subtilité de l’esprit, » — celui de son frère, — dont témoignait le mandement. « Je crois, déclarait-elle avec force, je crois qu’il est bien difficile de trouver une pièce aussi adroite et faite avec tant d’art. Je louerais très fort un hérétique en la manière qu’un père de famille louait son dépensier, s’il était aussi finement échappé de la condamnation sans désavouer son erreur, que nous consentons par-là au mensonge sans nier la vérité. »


Mais des fidèles, — reprenait-elle avec indignation, — des gens qui connaissent et qui soutiennent la vérité, l’Église catholique, user de

  1. Cf. le Cid :
    Percé jusques au fond du coeur
    D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle…
  2. C’est le mouvement même de Polyeucte :
    Où le conduisez-vous ? — A la mort ! — A la gloire !