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Religieuses de Port-Royal nous dit d’elle : « Elle parut dès le commencement un modèle parfait des vertus religieuses. Surtout, il n’y a jamais eu, au jugement de ses supérieurs, rien de plus édifiant que sa douceur, son humilité, sa soumission, son obéissance, sa modestie et son amour pour la pauvreté ; tous ses talens étant tellement couverts de l’éclat de ses vertus qu’on avait peine à les apercevoir. Sa vie fut toujours si sainte, que ce fut un continuel sujet d’édification pour la communauté… Elle aurait été certainement élevée aux plus grandes charges, si elle ne fût pas morte jeune. Mais, quoi qu’il en soit, pendant le peu d’années qu’elle a passées dans le cloître, on doit dire qu’elle a rempli une longue course. » On peut conjecturer aussi sans témérité que, dans sa joie sans mélange de voir revenir son frère aux sévères « maximes du christianisme, » il entrait, pour une certaine part, le désir et l’espoir de le voir mettre son génie au service d’une cause qui lui était chère entre toutes. « Je supplie Dieu, lui écrivait-elle au début de sa conversion, de continuer sur vous sa miséricorde en vous faisant profiter du talent qu’il vous donne. » Elle dut trouver sans doute que ce talent faisait merveille dans la polémique des Provinciales, et il est probable qu’elle applaudit avec une tendre admiration aux « petites lettres. » Peut-être enfin, — on le voudrait du moins, — applaudit-elle plus encore au dessein des Pensées. Même séparée de lui, elle sentait son affection pour lui s’approfondir, et s’accroître, et se purifier encore. C’était un peu son œuvre, à elle, ce frère tant aimé et tant admiré : par ses prières, par son exemple, par ses conseils spirituels, n’était-elle pas la secrète inspiratrice de sa vie nouvelle ? et ne lui avait-elle pas bien rendu ce que jadis il lui avait prêté ? Elle lui écrivait sous la date du 16 novembre 1660[1] :


Bonjour et bon an, mon très cher frère : vous ne doutez pas que je ne vous l’aie souhaité de bon cœur dès le commencement, quoique je n’aie pu vous le dire qu’à la fin. Je m’assure que vous vous étonnez d’être prévenu ; mais il était raisonnable [cette expression revient souvent sous sa plume] que le vœu finit par où il avait commencé, et que je vous assurasse que cette année, que j’ai donnée à Dieu de bon cœur, ne vous a rien été de tout ce que vous pouviez attendre de moi devant lui. Mon Dieu ! quand je pense combien cette séparation, qu’il semblait que la nature devait appréhender, s’est passée doucement, et combien cette année a été tôt passée, je ne puis m’empêcher de désirer l’éternité ; car en vérité, le temps est peu de chose…

  1. Je me demande si cette lettre est bien exactement datée.