Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

convenait à Blaise Pascal, que M. Singlin, en attendant qu’il se fût résolu à « se charger » de ce nouveau pénitent, « constitua » Jacqueline « directrice » de son frère, « dignité » dont elle s’empressa d’ailleurs de se décharger, dès qu’elle le put, sur M. de Saci et sur M. Singlin lui-même.

Nous avons quelques fragmens des « lettres de direction » de Jacqueline à Blaise : elles sont charmantes d’enjouement, de tendresse et de bon sens :


Je ne sais comment M. de Saci s’accommode d’un pénitent si réjoui et qui prétend satisfaire aux vaines joies et aux divertissemens du monde par des joies un peu plus raisonnables et par des jeux d’esprit plus permis, au lieu de les expier par des larmes continuelles… (19 janvier 1655).

J’ai bien intérêt que vous soyez tout à Dieu avec tout ce qui vous appartient, puisque je suis du nombre, par sa grâce autant pour le moins que par la nature. Car, proprement, je suis votre fille : je ne l’oublierai jamais (26 octobre 1655).

On m’a congratulée pour la grande ferveur qui vous élève si fort au-dessus de toutes les manières communes, que vous mettez les balais au rang des meubles superflus… Il est nécessaire que vous soyez, au moins durant quelques mois, aussi propre que vous êtes sale, afin qu’on voie que vous réussissez aussi bien dans l’humble diligence et vigilance sur la personne qui vous sert, que dans l’humble négligence de ce qui vous touche… (1er décembre 1655).


Il y avait si bien dans la sœur de Sainte-Euphémie une admirable « directrice » que sa sœur aînée Gilberte n’hésite pas à s’adresser à elle pour avoir de bons conseils touchant l’organisation intérieure de sa maison et la manière de traiter ses domestiques. Et Jacqueline, après s’être dérobée par humilité de « petite novice » et s’être d’ailleurs couverte de l’autorité de M. de Rebours, s’exécute, et envoie à Mme Perier d’excellentes directions chrétiennes d’administration familiale. Une autre fois, elle se laisse entraîner par son instinct naturel à donner des « avis spirituels » à ses nièces ; et un scrupule la prend : « Je ne m’aperçois pas, mes chères sœurs, que je fais une chose bien étrange de vous donner des avis au lieu où vous êtes : je n’y viens que de penser. » Ces Pascal, — Blaise à cet égard ressemble à Jacqueline, — ces Pascal sont nés directeurs de conscience.

A Port-Royal, où l’on savait utiliser tous les talens, on s’avisa d’assez bonne heure de ces remarquables aptitudes de la sœur de Sainte-Euphémie. Peu après sa profession, on l’employa à « former les postulantes et les enfans à la piété, et ensuite les