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« ferme » et « complaisante, » « il s’adoucit entièrement et eut pitié de la peine que cela lui faisait. » Mais il fallut encore l’intervention chaleureuse et adroite de M. d’Andilly, pour le faire céder tout à fait : encore aurait-il souhaité tout d’abord un délai « considérable ; » mais il finit par accepter la date proposée. Ce frère qui aimait sa sœur « d’une tendresse toute particulière » ne pouvait se résoudre à l’abandonner à Dieu.

Il allait faire plus encore. Jacqueline partie à Port-Royal, Pascal, un peu désemparé sans doute, secrètement irrité peut-être et déçu, repris par sa gloire naissante et par je ne sais quel désir instinctif de s’épanouir plus largement à la vie, Pascal « se remit dans le monde » avec l’ardeur fiévreuse qu’il portait en toutes choses. Il semble avoir mené assez grand train, et plus peut-être que son état de fortune ne le lui permettait. M. Strowski a finement relevé ce mot des Pensées, qui a tout l’air d’un aveu personnel : « Les choses qui nous tiennent le plus, comme de cacher son peu de bien… » Ce fut alors que Jacqueline, sur le point de faire profession, lui écrivit, ainsi qu’à Mme Perier, « pour mettre la dernière main à ses affaires » et pour les avertir qu’elle désirait disposer de son bien en faveur de Port-Royal. Cette lettre fut l’origine d’un véritable drame de famille et de cloître dont la sœur de Sainte-Euphémie nous a laissé une admirable Relation, que connaissent bien tous les lecteurs du Port-Royal. Sainte-Beuve l’a si ingénieusement extraite, citée et commentée qu’on ne peut, après lui, que passer rapidement, en indiquant les faits et les traits essentiels. A la grande surprise de Jacqueline, son frère et sa sœur[1] se montrèrent fort « choqués » et lui répondirent « chacun à part, mais de même style, » faisant mille difficultés, et parlant même de « déshéritement » à leur préjudice. « Je sais bien, avouait-elle un peu plus tard, je sais bien qu’à la rigueur leurs raisons étaient véritables, mais nous n’avions pas accoutumé d’en user ensemble[2]. » Et elle ajoute,

  1. Blaise est alors en Auvergne, auprès de Mme Perier. Est-ce que je me trompe ? Et vais-je commettre, par hasard, un jugement téméraire ? Mais il me semble que Gilberte dut être pour beaucoup dans l’opposition faite à Jacqueline. « C’est la Marthe de la famille, » a très joliment dit M. Strowski. Dans une autre circonstance (édition Brunschvicg, t. I, p. 27), on l’entrevoit plus intéressée que son mari. Et peut-être Blaise, laissé à sa seule inspiration, eût-il été plus conciliant. Une fois arrivé à Paris, on le voit céder assez vite.
  2. M. Brunschvicg qui suit, pour le texte de la Relation, un manuscrit communiqué par M. Gazier et intitulé : Diverses lettres de piété de quelques religieuses de Port-Royal et autres personnes, donne en notes d’intéressantes variantes tirées d’un autre manuscrit ; mais il ne donne pas cette phrase que j’emprunte à la « vulgate, » publiée par Cousin et Faugère, et qui est pourtant fort importante : car elle justifie, ou du moins elle excuse dans une certaine mesure Pascal et Mme Périer. Le vrai texte critique de la Relation aurait mérité d’être méthodiquement établi.